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Eau de Paris : comment cet acteur du service public a-t-il traversé la crise ?

LES ESSENTIELS

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09/06/2020

Comment fait-on face à la crise quand on fait partie du service public, que l’on doit composer avec plus de 900 collaborateurs et collaboratrices réparti.es sur une trentaine de sites et 5 régions ? Eau de Paris, l’entreprise publique 100 % municipale en charge de la production et de la distribution de l’eau (potable) à Paris, expose sa gestion en interne, comme en externe, de la situation, en toute transparence, par l’intermédiaire de Valérie Derrey, responsable de la communication, Elisabeth Thiéblemont, conseil en stratégie et prospective auprès de la direction générale et Karine Julié, cheffe du pôle communication interne.

COM-ENT : Comment Eau de Paris a-t-elle géré la découverte de traces de Covid-19 dans les réseaux ?

Valérie Derrey : Eau de Paris bénéficie d’un service de recherche et développement, doté de chercheurs virologues spécialisés dans la recherche de virus dans l’eau. Dès le début de l’épidémie, cette équipe a développé une méthode d’analyse du virus dans les eaux brutes de la Seine et de la Marne. Afin de confirmer la présence du virus dans d’autres eaux urbaines, cette méthode a été appliquée dès le début du mois d’avril à des échantillons prélevés en divers points du réseau d’eau non potable. La présence a été confirmée dans des quantités variables mais très faibles. Cette information a été communiquée à la Ville de Paris, qui a la particularité d’utiliser l’eau non potable notamment pour la propreté des rues. La Ville a alors décidé de suspendre l’utilisation de l’eau non potable dans les espaces publics et de la remplacer par de l’eau potable. Nous avons fait le choix de communiquer en expliquant notamment la distinction entre l’eau potable et l’eau non potable et en rassurant les usager.ères sur la parfaite qualité de l’eau du robinet. Cela s’est traduit par un travail de communication sur notre site Internet et les réseaux sociaux. Nous avons aussi communiqué sur le traitement de l’eau potable qui garantit l’élimination du Coronavirus, au même titre que les autres micro-organismes que l’on peut trouver dans les eaux brutes. Le tout, appuyé par un discours scientifique.

Aujourd’hui, la méthode de détection des traces du SarsCov2 développée par les chercheurs d’Eau de Paris est appliquée aux eaux usées et pourrait être un indicateur particulièrement fiable de suivi de l’épidémie.

Hors cette crise spécifique dans la crise, quelle a été votre stratégie de communication pendant cette période particulière ?

Valérie Derrey : Notre axe central de communication a été de rappeler, dès le début de la pandémie, que l’approvisionnement en eau de la capitale est sécurisée tant en quantité qu’en qualité et de rassurer les Parisien.nes sur le fait qu’il n’y aurait pas de pénurie d’eau ni de risque à boire l’eau du robinet. En tant qu’acteur d’un service public essentiel, Eau de Paris est doté d’un plan de continuité de l’activité préexistant au confinement, réactualisé et prévoyant un service minimum pour garantir la distribution de l’eau. La qualité de l’eau du robinet a également fait l’objet d’une attention particulière avec des éclairages scientifiques, par le biais d’interviews d’expert.es d’Eau de Paris publiées notre site Internet et relayées sur nos réseaux sociaux. Sans oublier la “communication grand public”,avec, par exemple, la réalisation d’une animation type motion-design expliquant les étapes du traitement multi-barrières de l’eau et le contrôle-qualité réalisé en permanence. Enfin, outre la large couverture médiatique des travaux du laboratoire de recherche d’Eau de Paris, l’un des plus grands dédiés à l’eau en France, nous avons renforcé notre communication à destination de nos abonné.es et de nos clients grands comptes.

Elisabeth Thiéblemont : La difficulté d’Eau de Paris est que les consommateur.rices finaux ne sont pas ses client.es immédiat.es, contrairement à d’autres réseaux d’eau en France, 95 % des Parisien.nes vivant dans des immeubles collectifs. Cette période de crise a permis à la communication d’œuvrer avec pédagogie pour faire connaître ce qu’il y a derrière l’eau du robinet, et que le grand public ne voit pas.

Quelles ont été les priorités d’Eau de Paris ?

Elisabeth Thiéblemont : Eau de Paris a immédiatement été très engagée sur la recherche de bien-être de ses collaborateur.rices. Pour reprendre les mots de Benjamin Gestin, directeur général d’Eau de Paris : “ Nous avons deux priorités d’égale importance à gérer durant cette période : la santé de nos salariés et la continuité de l’activité de service public dans sa fonction prioritaire”.

Karine Julié : Que ce soit au début de la crise puis désormais, la direction d’Eau de Paris a adopté le principe d’une communication constante auprès des salariés, par l’Intranet et les managers. Le partage d’informations a été très dynamisé avec des contributions spontanées d’ailleurs de collaborateur.rices en intervention sur le terrain, en télétravail, de solidarités entre opérateurs publics d’eau… A l’annonce de la date du déconfinement, nous avons travaillé au déploiement d’un dispositif d’information et de sensibilisation sur les nouvelles règles à respecter et les nouveaux gestes à adopter, via des mailings, de l’affichage sur sites, des réunions de présentation, des adaptations des espaces, des sens de circulation, le tout faisant bien sûr l’objet d’un dossier spécial sur l’Intranet. La phase de retour au bureau est par ailleurs très progressive : elle s’échelonne sur 4 mois. La direction des ressources humaines incite les managers à se montrer très compréhensifs, notamment pour les salarié.es devant gérer leurs enfants ou devant prendre les transports en commun, deux grosses sources d’inquiétude. L’interne est sensible à ces signes d’une entreprise soucieuse de sa santé et de la réalisation des missions de chacun.e, qui plus est de bien commun, dans les meilleures conditions.

Est-ce un facteur d’engagement ?

Elisabeth Thiéblemont : C’est un questionnement dans l’air du temps et pas uniquement à Eau de Paris que la relation des collaborateur.rices à l’entreprise. Nous avons lancé en janvier une étude avec le Centre de Sociologie des Organisations, pour essayer de comprendre les leviers de l’engagement et de la mobilisation des salarié.es, les mécanismes de circulation de l’information et de partage entre équipes et avec les managers de proximité, enfin le sens cherché dans leur travail et dans leur fonction. Cette enquête, qui va durer un an, s’appuie sur une centaine d’entretiens qualitatifs sur le terrain. Au cours des derniers mois, elle s’est poursuivie via Teams et montre à quel point la qualité de la relation, la capacité à s’adapter et à faire face à une situation d’urgence créent le sentiment d’appartenance et d’identification à ses collègues et à l’entreprise.

Nous nous sommes rendu compte, pendant cette période, que les collaborateur.rices souhaitent poursuivre la pratique de télétravail et considèrent la digitalisation comme un moyen de réduire le temps alloué aux démarches administratives au profit de la qualité de leur métier opérationnel. La notion de polyvalence, aussi, émane. Ils estiment qu’elle permet davantage d’interchangeabilité quand une équipe est en surcharge de travail. Il y a donc une sorte d’intuition pour un avenir moins sectoriel, moins tayloriste, plus flexible, adaptable aux situations exceptionnelles qui se répètent en tous les cas en Ile-de-France depuis quelques années.

A quelles difficultés a été confrontée Eau de Paris ? Comment maintenir la dimension collective face à la disparité des profils et des situations ?

Elisabeth Thiéblemont : Chez Eau de Paris, nous avons une vision assez innovante dans la manière d’approcher notre activité, bien en amont de son strict périmètre. Elle vise, par exemple, à travailler avec les partenaires agricoles pour les inviter à diminuer l’impact de leurs pratiques sur l’environnement et les accompagner dans le passage à une agriculture biologique. Notre travail commence ici et s’étend au captage et au prélèvement dans les eaux souterraines et les eaux de rivières, au traitement de l’eau et jusqu’à la distribution et à la relation client. Eau de Paris, c’est donc plus de 900 personnes et 60 métiers différents. Si notre mission est de distribuer l’eau à l’intérieur de Paris, notre système de production de l’eau se trouve à l’extérieur de Paris. A ce titre, notre personnel se situe jusqu’à 150 km la capitale, réparti sur 5 régions et une trentaine de sites, avec des conditions d’intervention particulières.

Dans Paris intra-muros, la difficulté était d’éviter les risques d’exposition au virus dans les transports en commun, et sur les sites extérieurs, de limiter le contact entre personnel dans les usines en repensant les modes opératoires. Eau de Paris a donc basculé environ 50 % de son personnel en télétravail, dont l’ensemble de son siège social basé à Paris, et cela grâce au déploiement rapide d’équipements (ordinateurs, smartphones) et d’outils collaboratifs. Tout l’enjeu a été de maintenir le lien avec les personnes en télétravail, comme avec celles en intervention ou en réserve : l’entreprise a fait le choix de la solidarité collective en ne mettant personne en chômage partiel. La prise de conscience que le management de proximité comporte une grande part de relations humaines est l’un des grands enseignements de cette crise pour les managers d’Eau de Paris, particulièrement pour des fonctions très opérationnelles, où le management était plutôt très technique. Une entreprise, un collectif n’est pas une injonction : chaque salarié.e contribue à créer du collectif et le management de proximité favorise cela. La proximité est vraiment un mot-clé, elle implique de prendre en compte la diversité des situations.

Karine Julié : Le rôle du manager est en effet fondamental dans ces situations. Cela sort du strict champ de la communication interne mais nous avons accompagné la direction des ressources humaines sur sa communication à destination des managers pour leur dispenser des conseils, mettre à leur disposition des outils. Notamment un webinaire sur le management des équipes en temps de crise, qui a été suivi par 70 personnes, et bénéficie de bons retours, une fiche pratique sur l’accompagnement psychologique des collaborateur.rices recensant les différents dispositifs existant chez Eau de Paris, des flyers sur les consignes essentielles…

Les managers se sont montrés innovants et ont revu leur manière de communiquer avec leurs agents, entre points réguliers (plusieurs fois par semaine) avec le personnel en intervention et en réserve via Teams ou l’utilisation intensive du téléphone. Sans oublier les échanges informels avec des roulements pour prendre des nouvelles des personnes malades, réservistes ou rencontrant des problèmes de connexion : une belle solidarité au sein des équipes et entre collègues !

En interne, comment s’adresser à un public interne hétérogène ?

Karine Julié : Pendant cette période, nos objectifs ont été de maintenir le lien et le niveau d’information, ainsi que de nous faire l’écho de l’implication des salarié.es mobilisé.es en temps de crise sur le terrain. Avec l’enjeu de soutenir la dimension collective d’Eau de Paris et sa capacité à assurer un service public en toutes circonstances : nos agents en tirent une réelle fierté. En termes de mise en œuvre, il nous a fallu jouer sur la complémentarité des outils à disposition : digitaux, mais pas uniquement, pour s’adresser à l’ensemble des salarié.es mais aussi aux managers et leur donner les bons instruments pour gérer ce collectif. Bien sûr, ne pas hésiter à interroger les collaborateur.rices sur leurs attentes. Enfin, être présent sur le terrain : notre directeur général le fait très bien en se rendant régulièrement sur les différents sites.

Pendant cette période particulière, un plan de communication de crise a été lancé en interne avec l’annonce du confinement. Il s’est appuyé sur l’intensification de l’envoi de newsletters et du rythme de partage d’informations et de bonnes pratiques, ou encore la ritualisation de témoignages sur le terrain, photos à l’appui, des webinaires sur le management ou encore le télétravail en temps de confinement et de crise. Trois fois par semaine, un mail “Feel good” était adressé à l’interne : il a reçu un accueil très favorable. Notre rendez-vous mensuel appelé “Café Sources”, par l’intermédiaire duquel des pilotes de projet échangent avec les salarié.es, a également été exploité. D’ordinaire en présentiel, il a été adapté en très peu de temps sur Teams pour répondre aux impératifs du confinement.

Elisabeth Thiéblemont : Une grande partie de nos communications étant devenues digitales, il me semblait important de conserver l’oralité et de la spontanéité. Le “Café Sources” permet cela. En période de confinement, nous avons souhaité conserver ce rendez-vous désormais quasi-institutionnel. Nous avons la chance d’avoir un directeur général qui joue le jeu, et qui a mobilisé l’ensemble du Comex pour une édition spéciale portant sur le plan de reprise, à l’occasion du déconfinement. D’ordinaire, l’audience d’un “Café Sources” autour de 100 à 150 personnes en présentiel. Nous sommes passés à 250 au format Teams, et même jusqu’à 470 connexions (sur 900 personnes), pour l’édition spéciale déconfinement !

Comment, en tant que service public, Eau de Paris a-t-elle fait jouer la solidarité ?

Valérie Derrey : Au niveau local, Eau de Paris est à l’initiative d’une opération solidaire envers les plus démuni.es. Une distribution de gourdes a été organisée pour faciliter l’utilisation des fontaines publiques qui ont été remises en service, pour une grande partie d’entre elles, plus tôt afin de garantir l’accès à l’eau potable au plus grand nombre. Elles sont en majorité fermées l’hiver, pour prévenir d’éventuels dégâts sur les réseaux d’eau en cas de gel. Enfin, des rampes à eau ont été installées dans trois points majeurs de Paris pour permettre à ces personnes d’accéder à des points d’eau supplémentaires.

Elisabeth Thiéblemont : A l’échelle nationale, Eau de Paris a contribué à cofonder, en 2013, “France Eau Publique”, une fédération d’organismes gérant l’eau publique. Elle permet à tous les opérateurs de l’eau publique, quelle que soit leur taille, de défendre le modèle de gestion publique de l’eau pour montrer ses dimensions vertueuses. Elle se fonde sur 10 groupes de travail thématiques qui permettent aux petites communes, organismes ou syndicats de s’inspirer de ce que font de plus grandes structures. Dans cette gestion de crise, les groupes de travail se sont accentués. Cet esprit d’entraide s’est aussi traduit concernant la gestion des masques.

Karine Julié : Au début du mois d’avril, Eau de Paris a été sollicitée par le ministère en charge de la Transition écologique pour organiser la livraison de la moitié du stock national de masques FFP3 à des opérateurs d’eau et d’assainissement public. Au niveau de France Eau Publique et plus largement de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies, la mise en commun des supports de sensibilisation et de communication s’est intensifiée en temps de crise avec une réelle volonté d’accompagnement des entreprises plus petites, disposant de moindres ressources.

Que vous évoque le mot “confiance” ?

Valérie Derrey : En termes de communication externe, comme en interne, j’associe le mot “confiance” au mot “transparence” : si nos publics ont l’impression qu’on leur dissimule des choses, le rapport de confiance est entaché. Une fois rompu, il est compliqué de pouvoir rassurer et d’adresser des messages qui seront justement reçus, encore plus en temps de crise. Cette période nous montre une nouvelle fois qu’il ne faut pas attendre que la crise survienne pour communiquer et tisser cette relation de confiance, elle se noue au long cours.

Karine Julié : J’associerais le mot “confiance” au mot “équipe”, qui fonde le collectif : rien n’est possible quand on ne peut pas avoir confiance dans les équipes qui nous entourent, à tout niveau : collaborateur.rices, salarié.es ou responsables hiérarchiques. Sans confiance, rien n’est possible, a fortiori dans des périodes de bouleversements. En interne, le fait qu’autant de personnes aient pu basculer en télétravail va sûrement changer la relation de confiance des managers envers leurs équipes.

Elisabeth Thiéblemont : C’est en tout cas un vœu pieux ! Pour ma part, je citerais : proximité d’intervention, appartenance _ à un terroir, un collectif _ et autonomie. La période que nous vivons invite chacun à la responsabilisation. Et sans confiance, il n’y a pas d’autonomie.

Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT

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