Le terme anglais burn out , syndrome d épuisement professionnel en français, fait son apparition à la fin des années 60, avant d être repris en 1974 par le psychanalyste Herbert Freudenberger et la psychologue Christina Maslash en 1976, alors qu ils étudient les manifestations de l usure professionnelle. Les mots choisis pour exprimer ce phénomène sont révélateurs du rapport que l individu en souffrance entretient avec le travail. Mais que révèlent-ils justement ? Et si cette problématique était avant tout une question d écologie humaine ? Petite balade réflexive entre dictionnaire et littérature pour mieux comprendre ce mal du siècle.
Qui veut voyager loin ménage sa monture
Epuisement est le substantif d épuiser , qui, selon le Littré, signifie mettre à sec un puits . Sa version anglaise, burn out, peut être traduite par se consumer . Les deux notions convoquent l absence de pérennité, l une par un phénomène de combustion, l autre par un procédé d assèchement. D un point de vue humain, le terme épuisement caractérise, selon le Larousse cette fois, l état d une personne dont les réserves nutritives ont été consommées ou dont le tonus nerveux est très réduit . Dans cette définition, le mot réserves nutritives semble vouloir entrer en résonance avec celui de ressources (personnelles et/ou professionnelles). Le travail devrait-il avoir pour fonction de nourrir le travailleur ou la travailleuse au-delà d une considération purement alimentaire ?
Feu, eau, réserves nutritives : autant d éléments présents dans une phrase célèbre, qui, transposée au monde du travail, pourrait nous indiquer la voie à suivre pour nouer avec lui une relation saine. En effet, en 1668, Jean Racine écrivait dans Les Plaideurs Qui veut voyager loin ménage sa monture . Ainsi, le parcours professionnel d un individu devrait lui permettre d assurer les bons maintien et fonctionnement de sa monture (ou véhicule), autrement dit : de lui-même. Car c est bien le sens premier de cette phrase, qui, prise dans son intégralité stipule : Monsieur Perrin Dandin, Tout franc, vous vous levez tous les jours trop matin : Qui veut voyager loin ménage sa monture ; Buvez, mangez, dormez, et faisons feu qui dure. Il est là question de préservation d énergie et de dosage des réserves propres à chacun.e dans le but d atteindre des objectifs spécifiques. Des capacités tant d ordre mental que physiologique, voire même technologique, car la monture peut aussi caractériser les technologies que nous manipulons pour mener à bien nos missions professionnelles.
Considérant que le travail nous invite à mobiliser des ressources qui ne sont pas inépuisables (nul.le n est un puits sans fond), nous devons en user avec raison et les alimenter pour qu elles restent durablement mobilisables. Cela suppose un environnement propice, adapté à nos caractéristiques et besoins personnels. A la manière d une plante qui ne supporterait pas certaines conditions édaphiques ou climatiques, notre nous travailleur aspire à s inscrire dans un contexte en adéquation avec nos systèmes de valeurs, dans lequel nos compétences sont utilisées à bon escient, permettant l instauration d un rapport au travail serein et soutenable.
De l importance de l environnement professionnel et du management
Une fois considérées ces questions d écologie personnelle inspirées par la sagesse racinienne, ne faudrait-il pas désormais examiner notre écosystème professionnel dans son ensemble en y conviant la notion d environnement ? Pour rappel, le botaniste Arthur George Tansley, pionnier de l écologie des plantes, est à l origine du terme écosystème, qu il créa en 1935 et définit comme un ensemble formé par une association ou communauté d êtres vivants et son environnement : le biotope. Les éléments constituant un écosystème développent un réseau d'échange d'énergie et de matière permettant le maintien et le développement de la vie . L entreprise est un écosystème au sein duquel interagissent les différentes parties prenantes, internes et externes : salarié.es, partenaires, client.es... Dans le monde du travail, la soutenabilité de l écosystème repose sur un échange vertueux, qu on pourrait qualifier de donnant-donnant , dans une logique non pas de dépendance ni de contre-dépendance, mais d interdépendance , comme le souligne Pierre-Eric Sutter, psychologue du travail et auteur du livre Travailler sans s'épuiser *. Il rappelle également que le travail convoque trois niveaux de réalisation, correspondant sensiblement à la gradation observée par la Pyramide de Maslow : le faire, l agir et l'œuvrer. Il est important que ces dimensions coexistent pour ne pas être tributaire de l une ou de l autre.
Dans cet écosystème, si la source personnelle de cette détresse est irréfutable, un management éclairé participe, a contrario, à limiter les risques. Un rapide détour, à nouveau, vers l adage racinien, nous pousse à interroger son rôle préventif du burn out. Le verbe anglais to manage , dont émane ce substantif, découle du terme français du XVe siècle mesnager signifiant en équitation « tenir en main les rênes d'un cheval ». Il a subsisté en français au travers du mot manège , issu de l'italien maneggiare, provenant lui-même du latin manus agere : contrôler, manier, avoir en main. A cet égard, on comprend qu un bon manager a aussi une fonction de guide et offre à ses collaborateurs et collaboratrices, au moins dans une certaine mesure, la possibilité de faire cohabiter sereinement les trois dimensions sus-citées.
Vers une consommation professionnelle plus éclairée
Pour faire feu qui dure, il convient de l alimenter correctement et de lui offrir des conditions propices. Professionnellement parlant également. Pour Pierre-Eric Sutter, il s agit de se réapproprier les rênes de son travail pour ne pas se laisser emporter par la spirale folle du « toujours plus » du capitalisme consumérisme et se prémunir concrètement de l épuisement qui peut en résulter . Autrement dit, de revoir son mode de consommation professionnelle. Celle-ci passe pour lui par la réintroduction de sens dans son travail, une conscience plus aigüe des mécanismes en jeu et une mise en pratique par le biais d exercices existentiels. Le surmenage (notons au passage la présence du radical menage ) extrême caractéristique du burn out incite enfin à s interroger sur la notion de temps : une composante essentielle dans tout voyage, y compris professionnel. Il ne faut pas sous-estimer les délais nécessaires à tout apprentissage et assimilation et donc l importance des ressources temporelles requises pour réaliser le parcours envisagé.
Aussi, pour boucler la boucle racinienne : qui veut voyager loin ménage sa monture, non seulement parce que la monture s épuise, mais aussi parce qu en ayant épuisé de la même manière tous les ailleurs possibles, il n y aura plus de nouvel horizon vers lequel voyager. Cette phrase nous sensibilise aux risques d une approche trop instrumentale des conditions de nos vies, le travail en fait partie. Nul.le ne peut, non plus, espérer simultanément ménager sa monture et voyager plus loin et plus vite. Tout changement de paradigme nécessite une chose qu aucune technologie ne peut compresser : le temps. Penser le contraire serait une illusion.
* Travailler sans s'épuiser : Changer sa manière d'être. Prévenir le burn-out. Réinventer son travail. , Pierre-Eric Sutter, Editions Eyrolles
Article réalisé par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT avec le concours de Pierre-Éric Sutter
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