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Les do et don’t de la communication en temps de crise

LES ESSENTIELS

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02/07/2020

Enseignante en communication politique et publique à l’Université de Paris 13 et au CELSA, experte « médias et communication », Anne-Claire Ruel décrypte l’actualité de la communication sur France Info. Fondatrice du Board et également autrice du podcast “Les Moments Vacants”, elle a accepté de répondre à nos questions sur les fondamentaux de la communication en période de crise.

COM-ENT : Quelle est la première question à se poser ? 

Anne-Claire Ruel : Il convient tout d’abord d’identifier et de qualifier la situation : s’agit-il vraiment d’une crise ou est-ce une situation sensible ? Fait-on face à un bad buzz ? L’événement problématique est-il de mon fait, en suis-je directement responsable ? S’agit-il d’une crise plus globale ? Il est important de se poser ces questions et d’adapter sa stratégie en fonction, de même que d’identifier nos relais d’information et nos différents publics. L’état de notre communication pré-crise importe également : prenions-nous souvent la parole dans les médias, sur les réseaux sociaux ? Enfin, la maturité et la notoriété de la structure sont à considérer : suis-je un nouvel entrant sur le marché ou ma réputation est-elle déjà bien établie ? Ces éléments vont déterminer la feuille de route. 

COM-ENT : Peut-on anticiper, se préparer à la crise ?

Anne-Claire Ruel : En période de crise, il est important que le système de décision soit réactif, court, et la chaîne de réactions, fluide. La préparation est un préalable à l’agilité des processus. “Progresser, c’est changer d’erreur”: on gagne à regarder ce qui a déjà été accompli en période difficile, et voir comment on peut optimiser les circuits d’information aussi bien tournés vers l’interne que l’externe. Ou mettre en place des exercices de simulation, qui plongent les équipes dans des conditions de tension et de temporalité propres à la crise. 

Toujours dans cette optique de réduire les délais alloués à la prise de décisions, on peut déterminer en amont nos porte-paroles. La chaîne de réaction doit être opérationnelle, a fortiori à l’ère des réseaux sociaux, pour que l’information soit menée de front sur tous les canaux on- et off-line, en interne et en externe. 

Pour résumer, on prendra soin :

1/ de qualifier la situation, le contexte ;
2/ d’incarner la prise de parole ;
3/ d’éprouver la réactivité des circuits de décision ;
4/ de mettre en place des dispositifs d’accompagnement psychologique : cellules de crise… et d’en informer les parties prenantes.  

COM-ENT : Faut-il avoir peur du vide ?

Anne-Claire Ruel : Cela dépend de la durée de la crise et encore une fois, du degré de maturité de l’entreprise, de sa notoriété. La posture d’humilité reste la règle de base ; la sobriété est de mise en cas de crise extérieure. C’est différent si le buzz est du fait de l’entreprise : dans ce cas-là, on prend la parole, on ne se cache pas !  

COM-ENT : Humaniser et incarner en temps de crise : un passage obligé ?

Anne-Claire Ruel : Le message empathique est incontournable en temps de crise. Il est nécessaire qu’il soit incarné, encore plus en période de crise pour que la souffrance soit reconnue. Pour ce faire, les interlocuteur.rices doivent être identifié.es en amont et prendre leurs responsabilités, informer les parties prenantes au fur et à mesure. Parmi les autres fondamentaux de la communication de crise, ne pas omettre le traitement du fait générateur. Cela implique une prise de décisions rapide et en adéquation avec la situation. Enfin, ne pas laisser le silence s’installer : on communiquera auprès de ses salarié.es et on mettra à leur disposition des outils théoriques, des centres de ressources… Le but est qu’ils aient accès à l’information de manière centralisée. 

L’incarnation est essentielle, c’est à la fois un signe de considération, de respect !, et d’engagement : voyez déjà à quel point nous souffrons avec les masques en matière de communication non verbale du manque de points de contact !

COM-ENT : Parler de soi ?

Anne-Claire Ruel : Parler de ce qui a été accompli pendant la période, si l’on a été acteur, oui. Rappeler les actions menées et les efforts réalisés, auprès des salarié.es et des client.es, aussi. L’étude Kantar réalisée lors de la crise Covid-19 reflète bien les attentes des publics vis-à-vis des marques : l’interne demeure la priorité, et une exploitation par trop promotionnelle de la situation sera mal perçue. La notion d’utilité concrète des marques cristallise l’attention des audiences, y compris à travers les contenus qu’elles vont produire. L’opportunisme est à proscrire.  

COM-ENT : Faire de l’humour ?

Anne-Claire Ruel : Dans un véritable contexte de crise globale, il est difficilement concevable de faire de l’humour sans blesser celles et ceux qui ont été directement impacté.es. C’est bien sûr différent s’il s’agit non pas d’une crise mais d’un buzz plus anecdotique et que l’humour est en fait de l’autodérision. Il faut toujours prêter attention à la sensibilité des audiences auxquelles on s’adresse. 

COM-ENT : Plutôt communication interne ou communication externe ? 

Anne-Claire Ruel : Les deux ! À l’heure de l’employee advocacy, les collaborateurs et collaboratrices sont la priorité, sans compter qu’une communication interne bien menée aura des externalités positives au-delà du périmètre de l’entreprise. Mais l’externe est essentiel : une entreprise en crise doit, dans la mesure du possible, continuer de produire ou vendre pour conserver à terme l’intégralité de ses effectifs et protéger ses salarié.es.

COM-ENT : Initier, innover ? 

Anne-Claire Ruel : En temps de crise, on se basera sur ce qui est déjà existant plutôt que de créer à tout va, sauf si l’on a une idée pertinente et très précise qui puisse allier efficacité et temps court. Dans un climat d’incertitude, plus encore qu’à l’accoutumée, il ne faut pas négliger le temps d’acculturation et le stress qui peut peser sur les collaborateur.rices, qui ne sont pas nécessairement dans des postures propice à l’apprentissage à cet instant. Regardez, nous avons tous fini par reprendre nos téléphones pendant la crise ! Le rythme imposé par la crise est trop soutenu pour laisser le champ à un arsenal nécessitant un temps d’adaptation plus long. En revanche, mettre en place des dispositifs utiles tournés vers l’accompagnement et le soutien, oui : cellules psychologiques, dons d’ordinateurs, formations spécifiques… Si l’initiative est tournée vers l’externe, elle doit être en cohérence avec l’activité et les valeurs de l’entreprise. L’utilité reste le maître-mot, de même que l’humilité ! 

COM-ENT : Faire preuve de pédagogie ? 

Anne-Claire Ruel : Pour faire le lien avec la question précédente, on sera plutôt sur des rappels que de la pédagogie liée à de l’apprentissage. Elle pourra porter sur les consignes de sécurité. La pédagogie consiste aussi à utiliser un langage simple, compréhensible, non jargonneux et in fine, à rendre accessible en interne comme en externe. Elle s’avère utile pour rassurer sur les situations de chacun.e, celles et ceux qui sont exposé.es ou qui craignent de perdre leur emploi. Enfin, débriefer et mutualiser les expériences, puis acter, c’est aussi faire preuve de pédagogie. Il faut apprendre des crises pour qu’elles n’en soient plus et que leurs impacts psychologiques s’estompent, car ceux-ci durent beaucoup plus longtemps que la crise en elle-même.  

COM-ENT : Oublier ? 

Anne-Claire Ruel : Même en voulant, on ne pourrait pas ! En revanche, on peut se préparer pour limiter au maximum le traumatisme lié à la crise. L’exercice consiste à identifier les dangers, les menaces, pour les transformer en risques : un risque est rationalisé, on peut développer des réflexes pour s’en prémunir ou limiter ses impacts. Le but de cet exercice est d’autonomiser les salarié.es, et mettre à distance la peur. L’enjeu sera le même après la crise : on la considérera à nouveau pour en tirer les enseignements et optimiser certains processus. 

COM-ENT : Comment maintenir la confiance en temps de crise ?

Anne-Claire Ruel : La confiance précède la crise, elle va rarement naître à la faveur de celle-ci et c’est généralement parce que le climat de confiance préexiste qu’il est possible de rassurer les parties prenantes. Elle demeurera si la réactivité, l’incarnation, les messages empathiques ont été au rendez-vous, et la communication, menée en flux tendu auprès de l’interne et de l’externe.

La confiance s’acquiert avec un discours d’honnêteté et de vérité, énoncé par des porte-paroles clairement identifiés, les dirigeant.es et les managers, c’est valable aussi au niveau d’une nation, avec le gouvernement. Et aussi avec la reconnaissance, la prise en compte des souffrances, des inquiétudes et des efforts réalisés. Encore une fois, la sobriété et l’humilité demeurent les fondamentaux. Il est important de reconnaître quand on ne sait pas et faire intervenir celles et ceux qui savent. A défaut d’avoir réponse à tout, on pourra communiquer sur un calendrier : la communication ne doit pas être rompue ; et qui plus est, être factuelle.

COM-ENT : Quels sont vos conseils pour surmonter cette épreuve ? 

Anne-Claire Ruel : Etablir un dialogue partagé avec des objectifs communs, organiser des sessions de débriefing en y associant les parties prenantes : on y abordera ce qui a été bien mené, ce qui est perfectible. Puis acter en faisant des changements dans les processus. 

Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT

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