Depuis plusieurs années, c est comme si le secteur de l intérêt général était devenu un immense terrain de jeu pour les agences de communication. Nombre d associations se voient ainsi proposer des campagnes de sensibilisation, gratuitement voire clés en main, campagnes qui doivent permettre à ces associations de se faire connaître auprès de l opinion, de la presse et de futurs donateurs sans payer un kopeck. Car, voyez-vous, soit elles n ont pas d argent, soit la cause est si importante que ce serait immoral de se faire payer
Et si nous disions STOP tous ensemble, agences et annonceurs, à ces campagnes dites « pro bono » ? Car en vérité, c est un jeu de dupes qui enfonce tant le monde des associations que celui des agences et ne valorise pas les métiers de la communication à leur juste valeur.
Quatre questions doivent nous interroger et nous inciter à arrêter.
Pourquoi la gratuité s applique-t-elle surtout aux métiers de la communication ?
Bien sûr, il existe des partenariats gratuits, sincères et utiles entre des agences de communication et des associations, qui traduisent un véritable engagement de ses collaborateurs. Mais si de nombreuses sociétés de conseil s engagent dans des actions gracieuses via du mécénat de compétences, j ai rarement rencontré des associations qui ne payaient pas, par exemple, leurs commissaires aux comptes ou leurs cabinets de recrutement Il y aurait donc des prestations externes qui pourraient être gracieuses et d autres pas ? Donc des prestations qui auraient de la valeur pour une association et seraient payées sans état d âme, et d autres qui n auraient pas tant de valeur que cela puisque l association n a pas prévu de budget En ne payant pas ces prestations, on renforce un discours de déni des métiers et des expertises de la communication, qui ont au contraire toujours besoin d être défendus et valorisés par notre communauté de communicantes et communicants.
Les agences de communication vont-elles si bien pour qu elles puissent se permettre de travailler gratuitement ?
L association COM-ENT réunit tout le secteur de la communication : annonceurs, agences et indépendants. Et les agences nous expriment leur difficulté actuelle à se développer, voire à survivre, tant les méthodes de travail et les relations avec leurs clients se sont dégradées. Appels d offres non rémunérés à répétition, négociation des prix avec des directions des achats préoccupées par le cost-killing, alignement des prix sur les purs coûts de production sans intégrer le travail de stratégie ou de création, mise en concurrence permanente y compris une fois un contrat-cadre signé, tensions sur les plannings avec des demandes toujours urgentes
Agences, quel message diffusez-vous auprès des annonceurs en montrant que finalement, vous pouvez réaliser des campagnes sans aucun frais ? Cela s appelle se tirer une balle dans le pied
Ces campagnes gracieuses sont-elles utiles ?
Oui, il y a des campagnes de qualité mais pour combien de campagnes totalement ratées, pleines de bons sentiments et sans rapport avec la stratégie de l association ? Avouons-le, les campagnes pro bono sont souvent un prétexte pour gagner des prix car l on sait bien que les jurys sont très sensibles aux communications d intérêt général, qui soudainement les distraient du quotidien commercial par de messages forts, « qui ont du sens » et touchent à des grands sujets de société si émouvants Mais un client qui ne paye pas est-il toujours un client ? Est-il en capacité de cadrer l agence dans un cahier des charges clair et précis (si ces compétences de communication stratégique existent dans l association) ? Est-il en capacité de choisir le mode d expression de la campagne, le plan média, de refuser, de refaire travailler encore et encore l agence jusqu au résultat attendu, avec exigence ? Evaluer sa campagne, en termes d impact, voire d impact social ? Permettez-moi d en douter
Les agences de communication n ont-elles pas d autres actions d intérêt général à mettre en œuvre ?
Le pro bono, c est l engagement gracieux dans une action d intérêt général, qui donne ainsi du sens à l activité professionnelle. C est bien de faire du bien aux autres que soi, mais ne doit-on pas d abord s intéresser à ses fonctionnements propres, à ses salariés, à son éco-système ? Regardons les entreprises qui sont sorties d une simple logique de don et de mécénat dans les années 80-90, pour mettre en œuvre aujourd hui des politiques de développement durables et de RSE. Agences, la priorité n est-elle pas d apporter à vos parties prenantes (externes et internes) des solutions que vous êtes seules à pouvoir apporter, pour une communication responsable, inclusive, plus respectueuse de l environnement, favorisant l égalité hommes/femmes et plus globalement l égalité des chances ?
Pour résumer, osons faire comme les Anglo-Saxons. Regardons le secteur de l intérêt général comme un secteur comme les autres, qui attend des compétences, de l engagement pour travailler de manière performante. Et doit pour cela attirer les meilleurs profils, agences comme collaborateurs, en leur proposant des rémunérations justes.
Fabrice Van Kote, Directeur des opérations et de la communication, ATELIERS D ART DE FRANCE
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