Pour renouer avec le réel, la communication doit s’inspirer du journalisme
Renaud Czarnes, directeur de la communication de Dalkia, administrateur de COM-ENT et également membre du comité “Communiquer autrement”, a récemment publié une tribune dans l’ADN, dans laquelle il propose de s’inspirer du journalisme pour donner à la parole des communicant.es un nouveau crédit. Nous avons choisi de la relayer à notre tour.
Comme souvent, le sujet est la crédibilité. Qui est encore crédible aujourd’hui ? Le pouvoir politique trouve rarement grâce aux yeux de la population, les institutions sont critiquées et la confiance dans les médias, internet en premier, s’érode : quatre Français sur dix se détournent désormais de l’information (enquête Kantar pour La Croix – janvier 2020). Quant à la communication en entreprise, plusieurs décennies de « bullshit corporate » ont décrédibilisé la parole des communicants. Cette communication datée a constitué une source inépuisable de railleries pour les programmes de fictions. Je pense notamment à « Message à caractères informatifs » et à « The Office » (à montrer dans toutes les écoles de communication).
Les entreprises ont essayé de regagner « des parts de marché » auprès de leurs parties prenantes, à commencer par les salariés. Toutefois, dans une enquête de janvier 2020 (Ifop pour Philonomist), interrogés sur la « raison d’être », les salariés ont répondu majoritairement que l’entreprise doit avant tout servir ses clients (35 %) et faire des profits (34 %). Ils ne sont pas loin de penser, comme Milton Friedman, que « la seule et unique responsabilité sociale de l’entreprise, c’est d’accroître ses profits », même si 12 % des salariés interrogés estiment que l’entreprise doit rendre le monde meilleur.
Réconcilier communication et information
« Que faire ? », comme disait Lénine. La communication a du pain sur la planche pour « restaurer la confiance ». On peut essayer d’avancer plusieurs pistes en s’inspirant du métier de journaliste. Premièrement, il convient de se reconnecter au réel. L’entreprise est un ensemble qui s’inscrit dans quelque chose de plus vaste, la société. Elle doit répondre davantage aux attentes de sens, de valeurs et ne peut plus être à l’écart, s’inquiétant des seules injonctions des marchés. Il n’y a qu’à solliciter les jeunes embauchés dont les attentes sont différentes de leurs ainés (plus sociétales) pour savoir si on est dans la bonne voie ou pas. Deuxièmement, la communication qui est, en quelque sorte, le « bras armé » de l’entreprise pour véhiculer ses messages doit renouer avec des contenus « incarnés » et porteurs de sens. Même si les journalistes connaissent une perte de confiance, ce sont eux qui maîtrisent le mieux la production d’informations reposant sur des faits. C’est-à-dire, une information sèche, factuelle mais à pouvoir calorique élevé et pourtant dénuée de glucides, de lipides (d’adjectifs, d’adverbes, de mots-valises et de concepts…).
Si l’on creuse cette deuxième idée, c’est-à-dire de réconcilier la communication avec l’information, les faits, on n’oubliera pas que, dans un monde saturé d’infos, d’infox, de fake, etc., le public n’a que très peu de temps à nous consacrer : ses « ressources attentionnelles » sont de plus en plus limitées. La surinformation crée de l’anxiété et ce que les psychologues appellent également le débordement cognitif. Certains font de la surinformation (le « carpet bombing ») une stratégie : plus on bombarde ses cibles, après tout, plus on a de chances de pouvoir les atteindre. Mais cette stratégie est mauvaise et finit toujours par susciter le rejet. Sauf quand on s’appelle Donald Trump : la guerre de « l’information » qu’il a lancée a pour objectif de semer la confusion et de rendre le recul analytique impossible. De ce point de vue, l’objectif est atteint.
Troisième idée : le contenu précède l’outil. Combien de plateformes censées nous aider à faire mieux notre travail de communicant se révèlent être de fausses bonnes idées, ajoutant de nouveaux outils aux anciens, aboutissant ainsi à un mille-feuilles de technologies ? La première question est : « je veux dire quoi, et à qui ? » La deuxième question est : « ce que je veux dire présente-t-il une utilité et un intérêt ? » On peut en ajouter une troisième : « est-ce fiable et inédit ? ». Il ne faut jamais oublier que si l’on n’est pas utile, la sanction est immédiate : on n’est pas lu. On peut préciser : quand la communication est descendante, longue et fastidieuse, elle n’est consommée par personne.
Quatrième idée : plus l’émetteur du message est proche du récepteur, plus l’on a de chances d’intéresser le public-cible. C’est ce que l’on appelle dans le journalisme la loi du « mort kilomètre » : plus un évènement s’est déroulé près de chez nous, plus cette information a de la valeur à nos yeux. Dans les grandes entreprises, celui que l’on appelle le « manager de proximité » est souvent plus écouté par ses équipes que le CEO qu’ils connaissent de loin (grâce aux supports de communication) mais n’ont jamais rencontré. Aucune information ne « cascade » naturellement.
Non seulement la route n’est pas droite pour les communicants, mais la pente est raide (pour paraphraser un ancien Premier ministre). Cependant, nous avons un rôle important à jouer, pourvu que nous soyons sincères, authentiques, engagés et empathiques. La communication retrouve depuis peu ce qu’elle n’aurait jamais dû perdre de vue : la primauté des faits, le contenu. Même si « communiquer, c’est informer avec une intention », rapprochons nous de la manière dont les journalistes sélectionnent l’information, comment ils la traitent en fonction de tel ou tel public (édition papier, édition web, réseaux sociaux…), et nous aurons fait un grand pas. Deux derniers conseils pour finir : 1° si l’on n’a rien à dire, mieux vaut se taire (c’est évident, et toujours aussi peu intuitif, tant la peur du vide est grande), 2° si l’on n’est pas écouté, c’est que l’on s’est trompé de message, de public ou de moment (ou les trois).
Par Renaud Czarnes, Directeur de la communication de Dalkia et maître de conférences à l’IEP de Paris
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