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Syndrome de l’imposteur : “L’expérience sensorielle et émotionnelle est transformatrice”

MONDE DU TRAVAIL

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17/05/2021

Découvert à la fin des années 70 par deux psychologues américaines, Pauline Rose Clance et Suzanne A. Imes, le syndrome de l'imposteur est un état psychologique caractérisé par un sentiment de doute permanent et d'illégitimité. Il se traduit par la difficulté à s'octroyer les mérites de sa réussite et à reconnaître sa véritable valeur. 

S'il est présumé touché davantage les autodidactes, ce phénomène est en fait assez répandu, puisque 70 %* de la population mondiale douteraient, au moins une fois dans leur vie professionnelle ou personnelle, de la légitimité de leurs succès. Les personnes concernées par le syndrome de l'imposteur éprouvent un sentiment d'insécurité exacerbé et injustifié et vivent dans une peur constante. Ce stress continuel peut devenir invalidant et avoir, sur le long terme, des effets délétères sur l'évolution professionnelle ou personnelle. 

Fondatrice de UNIK Conseil & Coaching, cabinet d'accompagnement en relations humaines, Charlotte Kifidis s'est intéressée au syndrome de l'imposteur. Convaincue que la qualité de la relation avec soi et les autres est notre plus grande richesse, elle a développé une offre visant à accompagner les individus et les entreprises dans leur transformation et leur capacité à collaborer. Pour faire face à cette problématique, elle convoque l'expérience sensorielle et émotionnelle. Elle nous explique pourquoi celle-ci est transformatrice, pour identifier mais aussi désamorcer les mécanismes en œuvre. In fine, pour démasquer l'imposteur qui sommeille en nous. 

COM-ENT : Qu est-ce que le syndrome de l'imposteur et comment se manifeste-t-il ? 

Charlotte Kifidis : Le syndrome de l'imposteur est une alerte, un signal qui nous indique que quelque chose se passe dans notre mental. Il prend ses racines dans les différentes formes de peurs. Cette voix intérieure, en fait un sentiment fabriqué à partir de nos pensées, vient hanter une très grande majorité d'entre nous. "Pour qui je me prends","Si on savait qui je suis vraiment","Je ne suis pas assez ci, pas assez ça","Je ne mérite pas","Je vais être découvert.e","Je ne suis pas à la hauteur"... sont autant de phrases à travers lesquelles elle s"exprime.  

Quand le syndrome se manifeste, la personne a le sentiment de ne pas mériter ses succès, de duper son entourage et, même si elle réussit bien, elle minimise sa réussite en la mettant sur le compte de la chance, rejetant l'hypothèse qu'elle est de son fait. "C'était facile, je n'ai pas de mérite", dirait la voix de l'imposteur. Elle craint d'être démasquée et que l'on découvre (à tort) que ses compétences ont été largement surestimées. Le syndrome de l'imposteur opère dans un monde de comparaison, dans lequel nous redoutons de révéler nos faiblesses, nos incapacités. C'est un état qui peut survenir sans qu'aucun facteur extérieur ne le déclenche, puisqu'il nous est possible de ressentir la honte ou la peur par simple anticipation. Ce syndrome est un sacré saboteur de joie. Et c'est d'autant plus regrettable que la joie est une émotion qui nourrit la gratitude, la reconnaissance, qui encourage l'action et la prise d'initiative.
 

COM-ENT : Quels sont ses ressorts ?

Charlotte Kifidis : Pour comprendre le syndrome de l'imposteur, il importe de mieux appréhender le concept-même de la peur. Nous expérimentons régulièrement trois grandes peurs universelles : celle de ne pas appartenir, de ne pas avoir sa place ou encore de ne pas être intégré.e, qui peut s'apparenter à la peur de la séparation. La peur de ne pas être assez est liée au sentiment d'incomplétude et se fonde sur la crainte de perdre en autonomie. Enfin, la peur de ne pas être aimé.e, accueilli.e, connu.e ou reconnu.e recouvre celle de l'échec. La peur de l'échec entraîne une blessure de l'égo et nous conduit à éviter d'envisager à tout prix le scénario du pire. 

La peur est une émotion fondamentale, c'est-à-dire qu'elle n'est ni bonne ni mauvaise en soi. Si elle peut parfois nous paralyser, ce sont avant tout les croyances liées à ces peurs qui abîment et freinent nos élans, et non l'émotion elle-même. 

COM-ENT : Quelle attitude adopter face à nos peurs ?

Charlotte Kifidis : Comme je l'évoquais précédemment, la peur est une émotion, une sensation. Si on ne la retient pas avec nos pensées, elle ne s'installe pas dans la durée et va simplement jouer son rôle : délivrer un message pour induire une action. La peur étant liée à une projection future, alors que la réalité se vit au présent, il est important de se poser les bonnes questions pour estimer son bien-fondé. La première consiste à regarder si la peur ressentie se fonde sur des éléments réels, factuels. Cela implique, bien sûr, d'accepter de ne pas tout contrôler. 

Aussi, il est important de garder en tête que nous pouvons réellement progresser, évoluer, que si nous sortons de notre zone de confort. Et pour sortir de cette zone, confortable car connue, nous avons à traverser une peur : celle de l'inconnu. Pour ne pas laisser le syndrome de l'imposteur prendre le dessus, il est indispensable d écouter cette peur, de la reconnaître. 

COM-ENT : Concrètement, comment l'écouter sans toutefois lui donner libre cours ?

Charlotte Kifidis : Désamorcer nos peurs infondées procède de trois étapes. La première consiste à les conscientiser. Le syndrome de l'imposteur n'est pas compliqué à démasquer, mais il est fréquent que l'on ne se rende pas vraiment compte de la place réelle qu'il occupe dans notre vie professionnelle et personnelle. Une manière simple et fiable de l'identifier est de prêter attention à sa voix intérieure. Dès que l'on s'entend prononcer intérieurement les phrases citées précédemment, c'est le signe de sa présence.

La deuxième étape repose sur le fait de ne pas donner trop de pouvoir à nos pensées. Si nous ne pouvons pas choisir l'émergence d'une pensée, nous pouvons choisir le temps durant lequel elle va demeurer dans notre esprit. Nous pouvons aussi choisir de la croire ou de ne pas la croire, de la remettre en question ou non, d'en vérifier le fondement. Prendre conscience de nos pensées en se posant la question du « Sur quoi ces pensées portent-elles ? Quelles pensées motivent ce sentiment de doute ? » est déterminant pour dénouer l'impression d'imposture. Toutes nos pensées sont des propositions pour s'exercer à découvrir les raisons contées par la voix de l'imposteur. Les nommer permet de les regarder en face et ainsi, de porter à notre conscience les histoires que nous nous racontons sous l'emprise de l'imposteur.

Enfin, la troisième étape consiste à rediriger, à réorienter son attention. Il ne suffit pas de se répéter "Non, ce n est pas vrai, je ne suis pas un imposteur" pour sortir de cet état. Il est nécessaire de se déconditionner et de se reprogrammer. Une mécanique efficace réside dans le remplacement des pensées parasites. Ainsi, pour apaiser cette voix intérieure, il convient de choisir des pensées qui vont nous soutenir, nous encourager, et d'aller chercher des preuves contradictoires en s'appuyant sur des expériences réelles vécues et des pensées nichées dans nos succès précédents. Ensuite, il s'agit de ressentir dans son corps ses forces, ses qualités, ses talents. De laisser infuser les sensations physiques liées à ces souvenirs positifs. 

Par sa capacité à convertir une perception mentale construite en une sensation corporelle tangible, l'expérience émotionnelle et sensorielle est transformatrice. Défaite des croyances limitantes, l'information circule à nouveau librement ; nous retrouvons alors la capacité d'action. Ce processus de renforcement positif permet d'imprimer profondément ce changement de perspective. Il redonne à nos peurs leur juste fonction, celle d'adopter le comportement le plus adéquat, qui ne se limite pas à la fuite ou à l'inhibition.
 

* Etude publiée dans la revue scientifique Journal of Behavioral Science et relayée dans Forbes en octobre 2019

Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT

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