Communicator 9 : plus de responsabilité, plus d’internationalité, plus de data !
Le Communicator*, c’est le livre de référence de tous les étudiants et les étudiantes en communication, et des professionnel.le.s : il accompagne les communicant.es depuis 1994. A l’occasion de la parution du Communicator 9, nous avons posé quelques questions à l’un de ses co-auteurs, Assaël Adary, pour être, nous aussi, incollables sur les grandes évolutions de la communication. Le président du cabinet d’études Occurrence et ancien secrétaire général de COM-ENT, n’en est pas à son coup d’essai : c’est la troisième édition qu’il co-signe avec Céline Mas.
COM-ENT : Quelles les grandes nouveautés et évolutions de cette 9e édition ?
Assaël Adary : Cette 9e édition a été profondément remaniée : plus de la moitié des cas des exemples des paroles ont été réactualisés ! La partie dédiée à la communication responsable a considérablement évolué et a été étoffée. Le sous-titre “Toute la communication pour un monde plus responsable” donne d’ailleurs le ton. Le mot “pour” a toute son importance : il souligne l’idée d’une communication comme acteur, même si seule, elle n’est pas suffisante, et s’inscrivant dans une démarche volontariste pour construire un monde plus responsable. Cette conviction irrigue ce Communicator, elle donne à cette édition sa coloration. On y retrouve de nombreux contenus “engagés”. Le design responsable y est notamment abordé : comment les agences intègrent cette dimension dans leur mission ? Je pense au cas de Mcdo, qui réfléchit à retravailler son identité visuelle pour limiter le taux d’encrage sur les supports. A l’échelle du nombre de logotypes imprimés dans le monde par l’enseigne, cela compte. La problématique de l’empreinte du numérique est également traitée. Pour résumer, cette 9e édition, c’est : plus de responsabilité, plus d’internationalité, ce qui sous-entend plus d’interculturalité, qui est un véritable sujet car la méconnaissance des spécificités locales peut être source de bad buzz pour une marque : il ne faut jamais perdre de vue les sensibilités des audiences auxquelles on s’adresse. Et enfin, plus de datas. Sur ce dernier point, nous nous sommes efforcés de regarder ce qu’elles pouvaient apporter à nos métiers.
COM-ENT : Il a été écrit avant la crise Covid-19 mais la plupart des amendements de cette édition font écho à des problématiques très actuelles (communication responsable, communication de crise et communication interne). Ces tendances étaient donc déjà dans l’air du temps ?
Assaël Adary : La rédaction du Communicator a été bouclée en période de Covid, mais l’essentiel a été réalisé en amont. Pour l’anecdote, nous avons tenu à rappeler l’introduction écrite par Marie-Hélène Westphalen dans la première édition du Communicator, c’était en 1994 : “Système désormais ouvert sur l’extérieur, l’entreprise ne se définit plus seulement par sa production, mais aussi par sa personnalité sociale, par sa place dans la cité. Bon gré, mal gré, elle doit répondre aux attentes de publics hier encore sous-estimés. Consommateurs, prescripteurs, actionnaires, journalistes, étudiants, pouvoirs publics, leaders d’opinion… ont affirmé le droit de savoir et de comprendre. L’entreprise n’a plus le choix : elle doit s’affirmer, parler, dialoguer. En un mot, communiquer. Plus efficace sera sa politique de communication, plus forte sera son image. Et plus faciles deviendront les différents actes de sa vie économique : du recrutement à la vente, en passant par la gestion du personnel, les relations avec les fournisseurs, les activités financières.” C’est exactement ce qu’on réaffirme 26 ans plus tard avec la loi PACTE, l’entreprise à mission ! Soit Marie-Hélène Westphalen était pionnière, visionnaire, ce qui est possible, soit, quand elle s’attèle à la tâche du Communicator, elle s’y emploie correctement en prenant en compte les signaux de son époque. Ce à quoi nous nous sommes évertués en décrivant et en intégrant les bouleversements que nous voyons s’opérer.
En tant que co-auteurs du Communicator, nous sommes les locataires du livre. Le faire évoluer, c’est l’amener d’un point A à un point B, guidés par deux exigences :
- suivre une approche scientifique répondant à des impératifs de justesse, de pertinence et d’actualisation ;
- colorer cette science par des convictions, c’est le cas dans cette édition avec la notion de communication responsable.
Pour en revenir à l’introduction rédigée par Marie-Hélène Westphalen, il y a un côté de moi qui ne peut s’empêcher de se demander : “qu’a-t-on fait ces vingt-six dernières années pour se reposer la même question aujourd’hui ?” Bien sûr, il fallait sans doute des lois, un cadre juridique, que la communication se dote d’outils, comme l’ISO 26000, norme pour laquelle nous nous sommes battus avec certains membres de COM-ENT afin qu’elle soit appliquée à la profession. Mais les mesures prises sont encore trop faibles au vu des enjeux. Il faut désormais basculer de la raison d’être à la raison de faire ! Nous n’avons plus le temps.
COM-ENT : Les réseaux sociaux n’incitent-ils pas les entreprises à honorer leurs engagements ?
Assaël Adary : Les réseaux sociaux contribuent certainement à l’obligation de sincérité, je préfère parler de sincérité que de transparence, car ils constituent un contre-pouvoir, au même titre que certaines ONG. Bien sûr, la vigilance est toujours de mise : ces instances sont elles aussi soumises au risque de dérives, on a pu l’observer en matière de désinformation.
Une volonté profonde est nécessaire pour aboutir à cette approche responsable. Elle questionne deux fondamentaux de l’entreprise : le rapport au temps, c’est-à-dire basculer véritablement du court-termisme au long-termisme ; et le rapport à l’argent en mettant en place des démarches RSE. A ce titre, Cécile Ribour, directrice de la communication de la MAIF, apparaît dans cette édition : la MAIF est au rendez-vous avec sa raison d’être. D’ailleurs, et toujours dans cette logique de fil conducteur responsable, le Communicator 9 a été augmenté d’une partie consacrée à la raison d’être. Ce neuvième numéro n’est pas lisse, sa coloration est quasi-militante, et pas uniquement technique ou technocratique. Sur de nombreux sujets, nous avons souhaité donner matière à réfléchir pour que le livre chemine dans les esprits, avec l’idée d’insuffler une éthique aux lecteurs, et par extension, aux professionnels. Ainsi, les case studies se terminent tous par des pistes de réflexion, souvent sous la forme de question.
COM-ENT : Le rôle de la communication serait donc aussi de (se) questionner ?
Assaël Adary : Oui ! Nous n’avons pas toutes les réponses, mais nous poser les bonnes questions en tant que communicant est essentiel. Et ne pas les instruire sereinement est dommageable. Nous pouvons le faire dès aujourd’hui : quelle sera ma marque employeur ? Comment faire de la communication interne demain ? Questionner, s’interroger, c’est reprendre la main, ne pas subir, ne pas être dans une posture d’attente. Aussi en cela, cette édition a une dimension quasi-militante, avec cette revendication que la communication est une fonction stratégique, créatrice de valeur pour son organisation. A cet égard, elle requiert une expertise. Et cette autre conviction : la communication doit plus à la science qu’à l’art ! Force est de constater qu’une communication réussie est une équation qui a été bien posée.
Cette dimension questionnante de la communication, nous l’avons illustré en inversant la logique de construction de cette neuvième édition : la pratique précède la partie théorique, qui s’intitule précisément “Questionner vos pratiques grâce à la théorie”. Toute la dernière partie revient sur les grands penseurs de la communication. Même Aristote considérait les modèles théoriques ! Ils sont également sources d’inspiration.
COM-ENT : Cette 9e édition du Communicator a pour sous-titre “Toute la communication pour un monde plus responsable”. Quelle est votre définition d’une communication responsable : s’agit-il d’une communication responsable d’entreprise ou de la communication d’entreprise responsable ?
Assaël Adary : Il faut distinguer la communication sur la thématique RSE de la communication responsable. Le programme Act for Food de Carrefour est un exemple congruent de communication sur la thématique RSE : il constitue le fondement concret de la stratégie de Carrefour et se traduit dans ses campagnes.
Communiquer de manière responsable, c’est transformer ses pratiques, être exemplaire dans ses actions de communication. C’est valable concernant les stéréotypes, ceux hommes/femmes bien sûr, le travail réalisé par COM-ENT avec le réseau TFTC figure d’ailleurs à titre d’exemple dans ce Communicator, et pour l’ensemble des stéréotypes. La communication a un rôle majeur à jouer pour arrêter de les véhiculer. C’est le chemin qui commence à être emprunté. Lorsque Nike prend pour égérie le footballeur Kaepernick, c’est un acte de communication fort, puissant, transformatif ! Une fois la démarche initiée, il faut tenir bon, faire preuve d’intégrité et de ténacité : le pire serait de faire marche arrière.
La communication responsable commence par la manière d’acheter des grands donneurs d’ordre et l’adoption de pratiques responsables dans le cadre des appels d’offres, puis dans le choix des prestataires : prendre en compte les labels et certifications, les pratiques RSE, pas uniquement les tarifs. D’autant plus que la dimension responsable de la communication se mesure très bien, comme nous le rappelons dans le livre : nous avons des indicateurs à notre disposition.
Ensuite, il est indispensable d’aligner ses actions de communication avec son fonctionnement, sa gouvernance : c’est une bonne chose que les publicités se fassent le reflet de la diversité mais si l’uniformité prime au sein des membres du comité exécutif, il y a un décalage entre la promesse et la posture. Le message doit être en adéquation avec la réalité, et parfois, la communication peut contribuer à la pédagogie. L’initiative “C’est qui le patron” est une bonne illustration de pédagogie du prix. C’est un concept de marque !
COM-ENT : Le chapitre dédié à la communication de crise a beaucoup évolué. Quels changements a-t-elle connu et quelles en sont les raisons ? Sont-ils le reflet d’une évolution de la nature des crises auxquelles les entreprises peuvent faire face ?
Assaël Adary : Dans cette édition, il y a bien sûr quelques cas d’école de crises classiques (France Télécom…), mais la réputation, et avec elle le risque réputationnel, est désormais mère de tous les enjeux. Nous l’évoquions précédemment : les publics sont en attente d’une adéquation entre les mots, les valeurs et les actes des entreprises. La réputation est un élément qui rend encore plus nécessaire l’alignement et l’intégrité à cette promesse de fond qu’est la raison d’être : y déroger peut être fatal pour une entreprise. La marque est un actif immatériel, sur lequel le risque réputationnel pèse et cela n’est pas sans conséquence pour les entreprises. Prenez Spanghero et la crise de la viande de cheval : l’entreprise a disparu.
Les communicants sont des fantassins, en charge de défendre la marque et sa réputation armés de leur expertise. La confiance est la clé de voûte. Sans confiance, rien n’est possible. Et pour maintenir ou acquérir cette confiance, les marques ont un rôle à jouer pour soutenir l’assainissement des méthodes dans l’ensemble du secteur.
COM-ENT : La crise a révélé l’importance de la communication interne pour maintenir le lien. Dans la précédente édition du Communicator, la communication interne semblait être vouée à se fondre dans la communication “globale”, au profit de la communication managériale. Qu’en est-il dans cette 9e édition ?
Assaël Adary : Le chapitre dédié à la communication interne a encore évolué. Il met en lumière la nouvelle manière de faire de la communication interne, qui est véritablement axée sur l’accompagnement du changement : “de la communication interne au change management”. Il s’intéresse aux nouveaux formats (podcasts…), à l’employee advocacy, ainsi qu’aux réseaux sociaux d’entreprises, avec lucidité : entre promesses et illusions !
La partie traitant de la communication managériale s’est amplifiée avec les apports de nouveaux experts. Nous essayons de décortiquer la notion d’engagement en change management, qui est un peu fourre-tout. Les outils et les spécificités de la communication interne y sont abordés bien sûr, mais l’accent est surtout mis sur les communicants internes comme acteurs de la transformation.
COM-ENT : Quelles sont les évolutions majeures des métiers de la communication interne ?
Assaël Adary : Attention, déjà, au frottement entre communication interne et RH ! Nous défendons une communication interne dans la communication, non pas au sein des ressources humaines. Ensuite, notre approche se base, toutes proportions gardées, sur une fusion entre communication interne et externe avec un seul tempo et surtout une seule vérité ! La communication interne ne doit plus être en retard : il n’est pas concevable que les collaborateurs apprennent les infos par l’extérieur. Il y a de vraies similitudes entre ces deux pans de la communication ; et il y a de vraies spécificités. Le statut n’est pas le même, les enjeux et les conséquences diffèrent, de même que la maturité sur les sujets. La communication relationnelle également, notamment via la ligne managériale : c’est un levier qui n’existe qu’en interne !
Ces nouvelles méthodes de communication interne tendent vers un marketing de la communication interne. Elles se basent sur la création d’une cartographie des publics qui n’est pas monolithique, ne pas se résume pas à une distinction cadre/non cadre, bien souvent inopérante dans les entreprises. Cette cartographie s’affranchit des critères d’ancienneté, d’âge, de statuts pour s’intéresser aux communautés qui traversent l’entreprise, en coupe transversale : les personnes qui managent, les femmes, aux Etats-Unis les communautés LGBTQIA… On touche à la notion de Community Manager de l’interne. Cela montre l’évolution du métier, et l’évolution des outils qui vont avec : les nouvelles animations, les digital workplaces efficaces.
J’espère sincèrement que la crise Covid aura pu démontrer l’existence et l’importance du corps social de l’entreprise. Que cela aidera à rééquilibrer les attentions mais aussi les budgets. La communication interne est trop souvent le parent pauvre de la communication.
Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT
*Communicator, 9e édition, Toute la communication pour un monde plus responsable, Assaël Adary et Céline Mas, Éditions Dunod
Commentaires0
Veuillez vous connecter pour lire ou ajouter un commentaire
Articles suggérés