Philippe Coen, fondateur de Respect Zone : “Le communicant est le médecin de demain”
Lorsque l un de ses fils lui rapporte qu un professeur est la cible, en raison de sa couleur de peau, des moqueries d un groupe Facebook créé par des élèves, Philippe Coen, avocat de formation et juriste spécialisé en droits des affaires, entame une réflexion profonde.
Celle-ci débouche, en 2014, sur la création de l ONG Respect Zone, dont la vocation est de réintroduire le droit à la dignité humaine et la notion de respect dans l espace numérique. Pour ce faire, Respect Zone met en place des outils simples et pratiques pour lutter contre la haine et la violence sur les réseaux sociaux. 55 écoles, 4 mairies dont celle de Paris, TF1 et l UNESCO les ont déjà adoptés.
COM-ENT : Pourquoi Respect Zone ?
Philippe Coen : Internet est perçu comme un formidable vecteur d expression : on occulte souvent que ce droit, s il est fondamental, n est pas absolu et que les abus peuvent, de ce fait, être sanctionnés. Face à ce libertarisme, la lutte contre la parole violente est devenue un sujet tabou. Dans un tel contexte, comment faire de la parole respectueuse la norme en adoptant une approche positive ? Telle était la réflexion initiale.
Car, d un point de vue juridique, tout, ou presque, a été prévu sur Internet et les réseaux sociaux : l obligation d information en droit commercial, des règles et des recours en matière de cybersécurité. Enfin, le RGPD, en application depuis mai dernier, nous montre que la question de la protection des données à caractère personnel n a pas été oubliée. En revanche, grand blanc et absence totale de réflexion quant au respect de la dignité humaine sur Internet, sûrement du fait de sa fonction originelle, réservée aux mondes militaire et universitaire. Beaucoup trop de personnes en pâtissent aujourd hui pour ne pas agir.
A côté de cela, une observation simple : plus un espace est sanctuarisé, plus il se prête à l être. Le cerveau possède ainsi des éléments tangibles pour déterminer ce qui est autorisé et ne l est pas. Partir du principe qu aucune règle ne fonctionne sur Internet et ne peut donc être affichée, c est courir d avance à l échec : comment réguler un espace si aucune règle n y est ni lisible ni exprimée ?
A la croisée de ces deux axes de réflexion, la nécessité d adopter des outils adaptés pour signaler et favoriser cette expression s est imposée. De là, le développement des dispositifs développés par Respect Zone.
Concrètement, quelles sont les solutions proposées ?
Nous avons cherché à apporter des réponses simples, modernes, positives et pleinement numériques. Des réponses qui, in fine, préservent la liberté caractéristique d Internet, espace permissif, et offrent aux utilisateurs la possibilité de s autoréguler, avec, en filigrane, le désir d éveiller les consciences.
Comme évoqué précédemment, le recours à la signalétique nous a semblé évident pour sa capacité à conditionner les comportements et à s ériger en médiateur, balayant les relations bilatérales contrôleur-contrôlé. Cet outil a déjà fait ses preuves dans la sphère réelle : quand une personne téléphone dans le train dans une zone non autorisée, il suffit souvent de lui désigner le panneau signalant l interdiction pour qu elle obtempère. C est la finalité du label Respect Zone : afficher et créer de l engagement pour se respecter.
Respect Zone, c est également un cercle de juristes, qui, entre autres fonctions, propose une cellule d assistance aux victimes de cyberviolence et porte les 50 propositions de l association auprès des différentes instances. Enfin, elle œuvre pour la mise en place d un concours d éloquence numérique avec la volonté sous-jacente de démontrer que l on peut convaincre et débattre de manière constructive.
Et bien sûr, c est aussi l instauration d une charte, qui a notamment été retenue par l UNESCO, TF1 et Netino pour sa dimension universelle et éthique.
Pourquoi universelle ?
Une solution se doit d être adaptée au problème qu elle entend résoudre : de par sa nature, Internet ne connaît pas, ou peu, de frontières. L offense qui se porte est par définition transfrontière, y apporter une réponse qui soit uniquement locale aurait été une gageure. Elle se devait d être internationale, numérique et conforme aux codes actuels du Web.
Le nom Respect Zone a d ailleurs été choisi pour son aspect universel, facilement compréhensible dans de nombreuses langues. Quant à la charte, construite empiriquement et éprouvée par le temps, elle été pensée comme le garde-fou éthique de l espace numérique, avec l intention d être simple, lisible, elle ne fait que 4 paragraphes, et internationale. Internationale car elle est traduite en une vingtaine de langues, mais aussi car elle se pose à la lisière entre république laïque et première amendement de la constitution américaine.
Universelle encore, sa propension à atteindre les parties prenantes de manière transgénérationnelle. C est l un des seuls dispositifs existants à rétablir le dialogue entre parents et enfants dans un pan de la vie de ces derniers dont les premiers sont souvent exclus.
Enfin, toujours dans la perspective de répondre aux attentes et aux usages des Internautes, la charte graphique et signalétique de Respect Zone reprend les codes des réseaux sociaux, tant en termes de design que de couleurs.
Quelles formes prennent la violence et la haine sur Internet ?
Notre charte couvre les 3 pans de la cyberviolence : le cyber-harcèlement, les discriminations en ligne et l incitation à l hyper-violence et au terrorisme. La radicalisation sur les réseaux sociaux est, en effet, un vrai sujet d actualité.
Quant au harcèlement, il existe depuis la nuit des temps mais avec l émergence du numérique, il a pour spécificité d être beaucoup plus facilement anonymisable ou pseudonymisable. Plus aisément répétitif, aussi, car il peut être automatisé et, comme nous le montrent les groupes de clasheurs, impliquer de très larges communautés de personnes. C est un phénomène insidieux, car le harcèlement est souvent illisible de l extérieur, et chacun peut en être un jour victime, témoin ou auteur. Si l attaque est virtuelle, les conséquences sont elles bien réelles : détérioration de la confiance en soi, déscolarisation, au bas mot.
In fine, la cyberviolence commence lorsque ceux qui hurlent sont les seuls à s exprimer. Le projet de Respect Zone est donc également d alerter et de redonner la parole à la majorité silencieuse en mettant, pour ce faire, les ressources nécessaires entre ses mains.
Internet : un terrain privilégié pour les haters ?
Nietzsche disait : Jadis le moi se cachait dans le troupeau ; à présent, le troupeau se cache encore au fond du moi. Avec le numérique, le moi et le selfie priment sur le troupeau ; les communautés sont un moyen de flatter les ego, voire de les exacerber.
Par ailleurs, en offrant la possibilité à ces communautés d interagir, Internet permet la conversation, mais aussi le cyber-harcèlement. Comme mentionné dans nos 50 propositions et dans mon livre Internet contre Internhate* , nous appelons à plus de transparence de la part des plateformes. Qui dit transparence ne dit pas forcément perte d anonymat. Nous militons pour la levée de l anonymat et pour la possibilité de lever par exception la pseudonymisation, ce qui rappelle le besoin de responsabilisation du côté des réseaux sociaux. Et pour la création d un statut intermédiaire entre éditeur, sur qui pèse actuellement la plupart des charges, et hébergeur, libre de toute obligation.
Comment endiguer le phénomène ?
Un mix entre sensibilisation, prévention et répression est nécessaire. La modération et l auto-modération, également, autrement dit, l observation d un ensemble de règles tacites propres à un espace commun. En matière d éducation à ces problématiques, l école ne doit pas être le seul garant d un numérique plus éthique , la communication a d ailleurs un rôle à jouer dans ce domaine.
Comment les métiers de la communication peuvent contribuer au nécessaire changement des comportements ?
A plusieurs égards. Déjà, le numérique est l un des terrains de prédilection de la communication : de par ses actions, elle insuffle une contre-toxicité directement là où se trouve le poison. Du fait que beaucoup de maux actuels sont liés au digital, les communicants sont en quelque sorte les médecins de demain.
Ensuite, car la communication surprend et interpelle, en offrant des leviers de promotion d un Internet respectueux moins traditionnels, plus innovants.
Enfin, les réseaux sociaux faisant de toute personne un média potentiel et par extension, une marque, la profession communicante permet de réparer l outrage à l image et de traiter directement la cause.
Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT
* Internet contre Internhate. Plaidoyer pour le respect. 50 propositions pour détoxer les réseaux sociaux , Editions Le Bord de l'eau
COM-ENT est signataire de l'#AppelRespectZone pour libérer le respect sur Internet
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