En mai dernier, nous vous donnions rendez-vous pour la révélation du palmarès de la 35e édition des Grands Prix COM-ENT, et dérouler le fil des grandes inspirations de la communication 2022. Retour sur les 6 tendances par le biais de campagnes qui n’ont pas toutes été récompensées mais en sont tout aussi représentatives.
“S’il en est une qui a opéré sa transformation et est devenue plurielle, vous la connaissez bien sûr, c’est la culture”. Ainsi pourrait commencer cet article, paraphrasant Augustin Trapenard, l’animateur de l’émission Boomerang sur France Inter. Et c’est vrai, a fortiori avec les réseaux sociaux qui favorisent la rencontre de personnes autour d’intérêts à la fois communs et spécifiques, qu’on ne peut plus parler de culture au singulier mais bien de cultures au pluriel, parfois singulières : des sous-cultures pour les nommer plus justement, dont la geek culture, le digital nomadism, ou encore la cancel culture ne sont que quelques exemples actuels.
Mais d’ailleurs, c’est quoi la culture, ou c’est quoi une culture ? Une étude réalisée en 2016 par le département des Études, de la Prospective, des Statistiques et de la Documentation (Deps) du ministère de la Culture et de la Communication, interrogeant les représentations de la culture dans la population française nous apprenait qu’un Français sur trois estimait que “tout est potentiellement culture”. Et c’est peut-être ce “tout” potentiel qui pousse la communication à utiliser les chemins de la culture pour atteindre les audiences.
Emergence de sous-cultures et polysémie du mot
“C’est le résultat majeur de cette étude : il y a globalement une représentation commune, « transociale » du mot culture et de la culture dans la population française. En revanche, si l’on examine les résultats de plus près, on s’aperçoit aussi qu’il n’y a pas une, mais au moins cinq acceptions très répandues de la culture qui peuvent se combiner chez un même individu. C’est même la règle générale : la polysémie n’est pas simplement collective, elle est également individuelle. (...) 90% des répondants partagent globalement une vision aujourd’hui dominante qui voit dans la culture tantôt un ensemble d’activités ou de domaines, soit l’ensemble de tous les savoirs.” C’est ainsi que Jean-Michel Guy, chercheur au Deps, commentait l’étude dont il est l’auteur.
L’investissement de cette polysémie du mot est-elle une nouveauté ? La réponse est très certainement non. Retour aux sources : étymologiquement, le mot “culture” est un parent du terme “culte” et fut employé pour qualifier l’hommage rendu à une divinité, tout en désignant également l’action de soigner, de pratiquer un art. Puis, plus tardivement, au sens de cultiver une terre et enfin pour désigner une culture dans son acceptation de “civilisation”. Déjà, la dichotomie nature/culture affleure, tentant de séparer l’état sauvage d’un état “civilisé”, domestiqué. Si l’action de (se) cultiver trahit une intention transformatrice de son environnement, le terme invite aussi une nuance moins clivante, dans laquelle l’interaction n’est plus nécessairement orientée vers la transformation ou la sophistication : celle de prendre soin, tout simplement.
A l’heure où l’on observe un tropisme, a minima déclaratif, vers le vivant et le sensible, cette dernière nuance semble tendre vers un consensus. Il serait toutefois faux de dire que le phénomène est nouveau, on ne refera pas le débat maintes fois joué “nature-culture” : en leurs temps et leur art, Lamartine et Keats, fascinés par cette capacité à trouver en la nature un écho infini aux tourments et inclinations émotionnelles qui nous traversent, nous ont prouvé qu’on pouvait y voir une source inépuisable d’inspiration sans chercher à la dénaturer.
Les points de réconciliation dans ces polysémies, ou points d’intersection, résident peut-être, d’une part, dans “le soin porté à”, autrement dit l’attention. Et, comme le rappelait Sonia Metché, directrice des études d’Onclusive, au cours de la Matinale Inspirations #1 dédiée au décryptage de l’inspiration Culture.com, l’attention est l’un des nerfs de la guerre de l’instrumentalisation de la culture par les entreprises et les marques dans un contexte “d’encombrement publicitaire, de défiance et d’une certaine lassitude.” D’autre part, dans l’intervention d’un “surnaturel” désignant le mouvement créateur intérieur qui naît de la rencontre entre l’état de nature (à commencer par le nôtre) et la culture. Ces deux aspects sont tout aussi intéressants à des fins de communication : ils soulignent la capillarité de la culture, sa faculté à infiltrer l’intimité des audiences pour devenir leur, favorisant l’adhésion, l’appropriation et l’appartenance. “La culture est un agent émotionnel”, rappelle Sonia Metché, “elle crée une connexion émotionnelle, qui permet la mémorisation, l’attachement et in fine l’attachement à la marque. L’émotion est ainsi le facteur critique dans ce processus.”
Enfin, l’intérêt de la culture dans sa dimension polysémique réside dans l’émergence d’un langage et d’un ensemble de codes et de modes de vie communs : avec l’éclatement de la société en communautés hétéroclites, qui échappent aux nomenclatures traditionnelles (CSP, etc.), les entreprises et marques peuvent y trouver un levier actionnable, alors que se rejoue l’épisode métaphorique de la Tour Babel. Quand l'hubris des Hommes les pousse à s’affranchir des considérations terrestres dans un mouvement hors sol, ils se mettent à parler non plus une langue commune mais une multitude de langages qui les divisent. Car l'avènement d’une ère centrée sur l’individu a conduit à l’émergence de communautés, au détriment, ou aux dépens, d’une société unifiée autour d’un projet commun, il faut désormais s’adresser à elles dans leur propre langage et le recours à ces sous-cultures rend la résonance et le dialogue possibles.
Culture, marques et entreprises et socle commun
Nous l’avons dit, le phénomène d’utilisation de la culture par les marques et les entreprises n’est pas nouveau. Comme évoqué par Sonia Metché, “cette utilisation est ancienne. Si je devais citer un seul exemple, ce serait l’utilisation des cultures urbaines dans la publicité à la fin des années 80 et dans les années 90, Coca-Cola était la première à les utiliser, en particulier le hip hop. En 1986, pour la première fois aux Etats-Unis, on voit apparaître une star du hip hop dans un clip avec une bouteille de Sprite, dans son univers culturel. Mais ça a changé, c’est désormais une tendance beaucoup plus lourde. Avant les communautés étaient isolées, elles interagissent à présent sur de nouveaux supports : Snapchat, Tik Tok, aujourd’hui le métavers, et elles créent elles-mêmes un ensemble de sous-cultures à l’infini”.
Pour la directrice des études d’Onclusive, “c’est cette mosaïque qui va changer la donne dans l’univers publicitaire.” Une situation théorisée par Douglas B. Holt, ancien professeur à Harvard et à l’université d’Oxford, désormais fondateur et président du Cultural Strategy Group, dans son livre “How brands become icons” (Harvard Business Presse), et qu’il appelle “marketing des foules ou des publics”. Et Sonia Metché de poursuivre son analyse en développant : “toute marque est issue d’une culture qui lui est propre, elle va s’adosser avec sa propre culture pour entrer en résonance avec les audiences. Par exemple, Patagonia et Decathlon s’inscrivent dans la culture outdoor. Les marques qui s’en sortent le mieux sont celles qui montrent leur capacité à transformer la culture dans laquelle elles évoluent, tout en faisant évoluer leur propre image.”
Notons également, que ce qui est valable pour la marque l’est aussi pour l’entreprise : ne nomme-t-on pas de culture d’entreprise l’ensemble composé par le positionnement, l’identité, les valeurs et le fonctionnement d’une organisation ? C’est cette capacité à déterminer, puis à faire vivre, cet ensemble de valeurs et de caractéristiques sur lesquelles l’entreprise va se fonder, qui va la rendre non seulement remarquable mais aussi lui permettre de s'ouvrir à la diversité sur la base de ce socle commun et unifié. Attention, toutefois, à ne pas tomber dans un culturisme, qui emprunterait à l’esthétisme. La culture est un formidable levier pour rassembler et créer du lien, sa dérive élitiste ou hédoniste peut avoir l’effet inverse : exclure ou être vide de sens.
Cultures multiples et infinités de leviers
Quatre campagnes primées d’un COM-ENT d’or avaient, entre autres, permis d’identifier l’inspiration Culture.com. Parmi les 159 dossiers déposés aux 35es Grands Prix COM-ENT, il en est plusieurs qui s’inscrivent parfaitement dans cette même tendance. S’il est possible de les regrouper sous le chapeau générique de “procédé culturel”, elles diffèrent bien évidemment tant par la nature du biais utilisé que par leur finalité.
Pop culture
C’est notamment le cas de la Caisse d’Assurance Maladie, accompagnée par les agences Les Présidents et Ici Barbès, a lancé, de février à novembre 2021, une campagne visant à promouvoir les rendez-vous de prévention bucco dentaire M’T dents. Afin de sensibiliser sa cible, en priorité les 3-24 ans, ainsi que les parents prescripteurs, trois spots thématiques sont déployés, reprennent les codes prisés par la cible prioritaire : l’animation et de l’humour. Et ça fonctionne avec un taux d’agrément de 83 % aussi bien chez les parents que chez les 18-24 ans.
Animation et humour encore et toujours du côté de Moniwan.fr. Cette plateforme digitale dont le but est d’ouvrir le marché de l’épargne au plus grand nombre souhaitait se faire connaître auprès du grand public, précisément ! Fin décembre 2021 et jusqu’en janvier 2022, elle conçoit, avec l’agence StJohn's, et diffuse “La Cigale”, une version “ragga” et décomplexée de la fable de La Fontaine. Le compteur de vue grimpe rapidement pour enregistrer 5 millions de vues !
Les nouveaux nomadesUne légère saveur de vintage et l’esprit de Woodstock flottent sur le “Volkswagen California Festival” organisé en octobre 2021 la marque iconique, accompagnée par l’agence Double 2. Le but de VW ? Renforcer son statut de love brand en créant un rendez-vous destiné à ses communautés, et notamment aux van lifers, sous la forme d’un rassemblement placé sous le signe de l’évasion, de la fête et de la liberté. Avec 682 participants et une équivalence médias de 400 k€, le festival atteint ses objectifs.
Stand up
Comment rendre un contrat d’assurance compréhensible, voire avenant ? Mais aussi, comment s’imposer comme un acteur de la pédagogie de l’assurance ? C’est le défi que s’est lancé CNP Assurances. “En gros”, déployé sur le média Konbini en novembre et décembre 2021, met en scène Baptiste Lecaplain, un humoriste apprécié par la cible des 18-40 ans à qui cette campagne, pensée avec l’agence The Good Company, se destine prioritairement. Avec plus de 5 millions d’impressions, le défi est relevé dans cette campagne qui fait rimer fantaisie et clarté.
Websérie
- À l’occasion d’Octobre rose, l’IUCT Oncopole organise chaque année une journée dédiée aux patientes et anciennes patientes pour leur donner la parole sur l’après-cancer, une période trop souvent passée sous silence. En 2021, cette journée, rendue impossible par la crise sanitaire, a dû être repensée afin de conserver le lien avec ces patientes malgré les contraintes en vigueur. IUCT Oncopole a ainsi fait appel à l’agence Pinkanova pour créer une websérie, format apprécié des Français. Un exercice complexe mais réussi, séquencé en 4 épisodes thématiques. Au-delà du taux de visionnage, l’engagement (commentaires, partages) suscité par “Le chemin d’Emilie” montre que l’audience a adhéré à cette belle initiative.
Illustration
De septembre 2020 à février 2022, Sanofi déploie, avec l’agence Babel, #Ducôtédelavie, une initiative ayant vocation à mettre en lumière des maladies peu connues du grand public par le biais d’une série de collaborations artistiques, tout en partageant le vécu des personnes concernées par ces pathologies. Le fruit de ces collaborations est diffusé sur Instagram, et chaque oeuvre comptabilise, en moyenne, 132 000 vues.
De la culture à l’engagement, de l’engagement à l’activisme corporate
“Les marques ne sont plus, aujourd’hui, de simples entités économiques. Ce sont avant tout des entités culturelles, car, si elles veulent maximiser leur influence, elles le font par ce biais qui leur permet non seulement d’exprimer leur capacité à refléter la culture dans laquelle elles vivent mais aussi à transformer les cultures environnantes. (...) Les marques fortes sont celles qui arrivent à identifier des sortes de lignes de faille dans la société, et qui, sans forcément vouloir agir, communiquent une vision.” , expliquait Sonia Metché lors de la Matinale Inspirations #1, lâchant, un peu plus tard, LE mot (ou, plus précisément, l’expression) : activisme corporate.
Un récent article paru sur le site Usbek et Rica mentionnait cet investissement du champ politique par les entreprises et les marques. Un phénomène questionnant au passage la place reléguée aux États dans cette nouvelle donne politico-économique. Ce basculement ne saurait être qualifié d’ex nihilo : il coïncide avec l’apparition et la multiplication, ces dix dernières années, de “citoyens consommacteurs”, pour lesquels l’acte d’achat (ou de non achat) constitue un véritable geste politique.
On est alors en droit de se poser (au moins) deux questions : quelle fibre la culture et la politique ont-elles en commun ? Quel rôle la communication peut-elle jouer dans ce paysage ? A la première interrogation, on peut avancer des éléments de réponse tels que leur fondement sur des chronotopes qui vont nourrir ou préempter l’élaboration de récits, pouvant ensuite devenir projets (communs) et rendant possible le refondement en société, communauté, organisation, liées par cette projection partagée. A la deuxième, il est sûrement de l’ordre de la médiation. De même que la médiation culturelle permet à une œuvre de rencontrer son public, par des procédés pédagogiques, sociaux ou récréatifs, la communication a un rôle à jouer dans la manière d’accompagner les engagements sociétaux et de les faire comprendre.
Espérons que la vertu, ou le risque réputationnel, poussent les organisations à investir avec rectitude cette nouvelle mission. En conclusion, posons ici une dernière question : peut-on vraiment être agent économique sans être agent politique ? Ces deux postures ne sont-elles pas intimement liées ? Peut-être pas dans le cas des économies dites souterraines et informelles, bien qu’elles alimentent et servent, à leur tour, des micro-communautés. Et finalement, n’est-ce pas l’un des risques vers lequel nous tendons si la crise de confiance (à raison) perdure : un morcellement des sociétés en groupes épars, souterrains et informels ?
Par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT
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