Tendances de communication : les (nouveaux) langages de la proximité
En avril dernier, nous vous donnions rendez-vous pour la révélation du palmarès de la 34e édition des Grands Prix COM-ENT, et dérouler le fil des grandes inspirations de la communication 2020/2021. En raison du contexte sanitaire, cet événement s’est tenu pour la première fois dans une version 100 % online. Retour sur les 6 tendances par le biais de campagnes qui n’ont pas toutes été récompensées mais en sont tout aussi représentatives.
“Séparé.es mais ensemble”, ou, pour être plus juste, “séparé.es mais connecté.es” : l’année charnière 2020 n’a pas cessé d’interroger la relation entre distance et lien. Par la force des choses et de la répétition, la distanciation physique (ou éloignement sanitaire) nous a, au moins inconsciemment, invité.es à repenser notre rapport aux distances intime, personnelle, sociale et publique. Car, si nous sommes des animaux sociaux, ou, plus justement, politiques pour ne pas trahir les propos d’Aristote, “politiques” venant souligner la présence d’un ou plusieurs intérêts communs, partagés ou mutuels dans le mouvement centripète de constitution en société, nous ne souhaitons pas nécessairement entrer en intimité avec tout le monde !
Distance et lien sont très certainement deux des composantes qui fondent la proximité. Elle est ainsi affaire d’espace, de temps, mais aussi d’affinité. C’est cette nature protéiforme de la proximité qui nous intéresse aujourd’hui, dans un contexte où la dématérialisation des interactions est, si ce n’est la norme, un passage quasi-obligé. Comment occuper et faire vivre le vide créé par l’éloignement contraint ? La proximité convoque la problématique de la juste distance, de la séparation non clivante, de toutes les nuances entre intrusion et invitation.
Comment rendre tangible la projection dans le futur quand les perspectives sont mouvantes et floues ? Comment renouer avec le concept d’actionnabilité et animer le champ des possibles quand les publics sont à distance ? Comment rassembler des populations hétérogènes sans leur intimer de se ressembler ? En résumé, comment rendre concrets des espaces, des temps, des intérêts, qui semblent nous échapper ou se déliter à l’heure du jour le jour, du télétravail, du sans contact, des “entre-soi” ? Ces interrogations, denses, sont emblématiques d’un monde en mutation, et ce, à plusieurs égards : technologique, sociétal, comportemental, cognitif. Elles se posaient sûrement avant la crise sanitaire. Mais celle-ci, par son ampleur, sa soudaineté et ses prolongements, ne les a rendues que plus saillantes.
Le besoin d’appartenir, la nécessité de se distinguer
Faire-ensemble, vivre-ensemble… Depuis plus d’une dizaine d’années, fleurissent les expressions composées avec l’adverbe “ensemble” : ce mot, “ensemble”, pose assurément la question du tout et de la somme des parties. Elle pose avant tout la question de faire corps commun, société, sans nier les différences, et donc celle de l’inclusion et, par extension ou extrapolation, celle du plus grand diviseur commun (ne faudrait-il pas le rebaptiser “rassembleur commun” ?). Dans le même temps, et ce n’est peut-être pas une coïncidence, la proximité fait son grand retour : commerces de proximité, management de proximité, désintermédiation, local… Même la grande distribution s’y intéresse. Un appel d’air, comme une compensation à l’une des conséquences de la place grandissante du numérique et de ses implications dans nos sphères privées et professionnelles.
Comment recréer le trait d’union, l’espace insécable mais nécessaire pour permettre au collectif d’exister, aussi dans son individualité, en présence ou virtuellement ? L’exercice est délicat, il relève du funambulisme : toucher le plus grand nombre tout en s’adressant à l’individu derrière le groupe. Comme pour renverser une tour de Babel, il a fallu trouver de nouvelles écritures ou puiser dans des runes ancestrales et éprouvées. Si la recherche d’un langage commun demeure (peut-être) une utopie, elle semble faire l’objet d’un tropisme de la part des entreprises, à l’adresse de leurs publics internes et externes.
Parmi les campagnes déposées aux 34es Grands Prix COM-ENT, cette volonté a principalement pris quatre formes : l’image (parfois animée), le changement d’échelle, le parler authentique ou poétique, et l’information. L’enjeu est double : l’attention et la confiance et a pour socle commun l’accessibilité (qui rend possible le sentiment de proximité et gomme les barrières, la boucle est bouclée ou presque). Qui plus est, les moyens cités permettent de créer des points de convergence et de correspondance sans avoir pour prérequis l’uniformité. Pour clore ce long préambule, on peut également se demander si les entreprises n’y ont pas vu l’opportunité de s’emparer pleinement d’une mission d’utilité, par un service d’information, mais aussi, quand rêver est compliqué, en invitant leurs audiences à renouer avec la force de l’imagination et/ou de l’imaginaire.
La puissance de l’image et des symboles
“- (...) Dessine-moi un mouton.
Alors, j’ai dessiné.
Il regarda attentivement, puis (...)” *
Chez DPDgroup, c’est précisément le dessin qui a été retenu pour sa capacité à célébrer la beauté du monde et à émerveiller : le réseau international de livraison de colis du Groupe La Poste souhaitait offrir un cadeau remis lors de la convention annuelle de 2021, prioritairement à destination de l’interne. L’ambition était également de rendre hommage, de manière originale, aux livreur.ses qui parcourent chaque jour le monde à la rencontre des client.es. Carte blanche est donnée à l’agence So Bam, qui, sous le pinceau de l’artiste Léa Morichon, réalise “Moments”, un carnet (muet) de voyages imaginaires, à travers les yeux d'un livreur. Un moment rare et précieux d’évasion quand la possibilité de se déplacer est limitée. Dans Moments, un seul langage est utilisé, et il est universel : l’illustration, permettant à chaque collaborateur.rice, quel que soit son pays, d’adhérer au récit.
Parfois, l’image s’anime : c’est le cas chez France Alzheimer. Pour émerger dans un univers associatif concurrentiel, l’association reconnue d’utilité publique se manifeste le 21 septembre 2020, à l’occasion de la journée mondiale Alzheimer, avec “La Traversée” : un film d’animation en 3D poétique et émouvant conçu par l’agence Ici Barbès, à destination du grand public et visant l’appel aux dons. Le court-métrage, qui s’achève sur le nouveau mot d’ordre de l’association “Vous ne serez plus perdu”, raconte de façon métaphorique les bouleversements que provoquent le diagnostic et la maladie et utilise la symbolique de la boussole chère à France Alzheimer pour résumer les valeurs de proximité, d’inclusivité et d’accompagnement sur lesquelles elle se fonde.
Mise à l’échelle
Faire varier les échelles, jouer tantôt de la longue vue ou du microscope, facilite le discernement et focalise l’attention. L’Office français de la biodiversité (OFB) utilise ce ressort, et celui de l’illustration, en mode “regardez, il n’y a pas rien à voir !” dans sa campagne estivale 2020 “Ne gâchons pas nos retrouvailles avec la nature”. Alors que les Français.es, confiné.es jusqu’à la fin du mois de mai, vont profiter des vacances pour renouer avec les grands espaces, l’OFB, accompagné par l’Agence Verte, leur adresse un message de sensibilisation et de vigilance, dans le but de les inviter à respecter les écosystèmes dans lesquels ils.elles vont prochainement évoluer. Là encore, le dessin est convoqué, mais aussi la force évocatrice de la jumelle, qui signe l’identité de chacun des visuels qui composent cette campagne.
Mise à l’échelle d’un autre genre dans “The Drop” de la Surfrider Foundation Europe (avec l’agence Ici Barbès). Cette campagne, diffusée pour la première fois en novembre 2020, s’emploie à rendre l’infiniment petit, infiniment grand pour saisir et faire comprendre l’ampleur du désastre et du défi écologique et sanitaire. Afin de bousculer, sans culpabiliser, toutes les consciences (grand public et législateur.rices) autour de la question des microplastiques polluant la surface de l’océan et des fonds marins (51 milliards de particules recensées), un film en 3D s’ouvre sur un univers étoilé dans lequel des millions de points scintillent. Le spectateur est brutalement projeté dans une autre réalité, celle de toutes les saletés contenues… dans une goutte d’eau. Le film se conclut implicitement sur la nécessité et l’urgence d’agir avec la signature « Il y a 500 fois plus de particules de microplastiques dans l’océan que d’étoiles dans la galaxie ».
Poésie moderne et parler vrai
Utiliser les codes de langage eux-mêmes utilisés par les audiences ciblées est aussi un moyen de capter leur attention et de les toucher. C’est le procédé employé par Nouvelles Générations d’Entrepreneurs (NGE) dans son documentaire “Un jour dans la nuit”, diffusé de juin à novembre 2020 et signé par Marie Picard et Quentin Sixdeniers. Alors que le groupe de BTP, secteur reconnu essentiel par l’Etat, a été mobilisé sur des chantiers d’urgence pour l’intérêt général, NGE tenait à montrer l’engagement des équipes sur le terrain et leur envie de travailler ensemble par le biais d’un film à destination de l’interne. En 26 minutes, la dimension humaine de ce métier est saisie et retranscrite, par l’image, mais aussi par la parole authentique des personnes filmées, soulignée par une musique originale. Une authenticité qui a trouvé un écho favorable auprès des collaborateur.rices : “Tu te rappelles de l'émission strip tease ? J'adore, ben là, c'est un peu pareil”.
Scansion léchée dans la campagne de valorisation des salarié.es de la Croix-Rouge française, réalisée par l’agence ZComme. “On connaît la Croix-Rouge française de nom plus que de métiers. On connaît ses bénévoles moins ses salarié.e.s... Et pourtant ils sont 16700 à avoir choisi la Croix-Rouge française pour exercer leur métier.” C’est le point de départ de la réflexion de l’organisme sur sa marque employeur, qui souhaitait par la même occasion révéler ses collaborateur.rices, fortement mobilisé.e.s depuis le début de la crise sanitaire. A travers une collection de neuf films portraits, leur engagement, leur quotidien, mais surtout leur personnalité, sont mis en lumière, en images et en mots. Des portraits, écrits en slam et déclamés par des personnalités.
La fonction référentielle du langage
La compréhension est un moyen de susciter l’adhésion, d’embarquer et de ne pas laisser de côté. Pour ouvrir ces portes de compréhension, on a recours à la fonction référentielle du langage : l’information. La complémentaire des militaires et de leurs familles, Unéo, avec Archipresse Media Consulting, y recourt par le biais d’un guide, le “Guide Être Unéo”, mis en place au deuxième semestre 2019, envoyé deux fois par an au domicile des adhérent.es, et également publié sur le site de l’Unéo. Considérant que l’information fait partie intégrante du service rendu aux adhérent.es, Unéo délivre un support pratique et accessible, ayant pour vocation de les aider à démêler le vrai du faux en matière de santé, et guidant le lectorat du papier vers le numérique. Un document facile à lire et à partager, fait pour circuler : un support de proximité.
“Référent”, le mot est lâché. Avec “Culturesbio, le consumer magazine de Biocoop”, cet acteur de l’économie sociale et solidaire, souhaitait offrir à la clientèle de ses 630 magasins un magazine de référence en matière de transition sociétale, et notamment écologique, et d’éducation à la bio, tout en informant sur le service apporté. Réalisé avec l’agence Makheia, ce bimestriel, qui se veut résolument grand public, s’appuie sur un combo rencontres/réalité/terrain/engagement et s’emploie à mettre en valeur le quotidien des différents acteurs de ce projet sociétal d’envergure : agriculteur.rices, distributeurs, spécialistes engagé.es, personnalités. Une démarche accessible et pédagogique, portée par la volonté d’accompagner et de soutenir le changement des comportements et des mentalités par la connaissance et via un discours authentique.
“(...) Cette proximité avec les audiences peut s’incarner par une proximité de valeurs et d’idéaux”, déclarait Christophe Manceau, directeur du planning stratégique chez Kantar et notre expert sur la tendance “Proximité” lors des 34es Grands Prix dans la publication “Les voix de la communication”. “Voir loin, ça ne veut pas dire que nous ne sommes pas proches : si nous partageons des goûts et des aspirations, même éloigné.es géographiquement, le digital est facilitateur et lisse la distance.” On entrevoit alors, à travers ses propos, que, quel que soit le support, la proximité basée sur l’intérêt commun rend possible la projection dans des horizons de temps et d’espace lointains. “Dans un contexte marqué par la déperdition de confiance des publics envers les institutions, cela permet de désigner un lointain tout en le rendant accessible, à la manière des campagnes sur le climat qui appuient sur la dimension du “c’est encore possible”.” Dans une émission diffusée en janvier 2020 sur France Culture, la directrice de recherche émérite au CNRS et autrice de "Faut-il se ressembler pour s'assembler ?"* Nicole Lapierre tenait ce discours : “l’échange, l’intercompréhension, l’empathie créent des proximités, des ressemblances, des visées communes, des espoirs communs et c’est cela qui est souhaitable, je crois”, et faisait plus loin allusion à “l’ouverture de possibles”. Renouvelons cette invitation à user de ces trois ingrédients en langage et en communication pour déboucher le ciel en période d’incertitude.
* Le Petit Prince, Antoine de Saint-Exupéry
** Editions Seuil
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