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Cerveau : vous avez un nouveau message !

LES ESSENTIELS

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26/03/2020

Dans un monde incertain (incertitude accentuée par le caractère inédit de la situation actuelle), complexe, dans lequel les informations se croisent, se renouvellent et se défont aussi vite qu elles sont apparues, on pressent l importance de concevoir justement les messages et la nécessité de bien les adresser, aussi de manière éthique. Comment notre cerveau réagit-il aux messages ? Quelle place pour la gamification dans l appropriation d une information ? Pourquoi les fakes news ? Voici quelques clés de compréhension à garder en mémoire (sans risquer la surcharge cognitive).

Des ressources attentionnelles limitées 

Connaître les caractéristiques (habitudes, dont digitales, affinités ) de l audience ciblée : autant d éléments nécessaires aux communicant.es lorsqu ils souhaitent s adresser à un public. Pourquoi cette connaissance est-elle fondamentale dans l exercice de nos métiers ? Sûrement car elle permet de concevoir et de diffuser des messages qui seront reçus et perçus aussi conformément que faire se peut à l intention, et à l objectif, initiale : dans le processus de perception, la réceptivité d une donnée extérieure et l activité mentale sont imbriquées. Notre perception est partiale, corrélée, entre autres, à notre histoire et à notre culture. D un point de vue physiologique , nos ressources attentionnelles sont limitées : cette limitation implique un traitement également subjectif et en partie construit des informations auxquelles nous sommes exposés. 

Ce traitement se réalise sur la base de nos a priori, les connaissances et les expériences enregistrées par le cerveau depuis le début de sa vie : nos heuristiques, à partir desquelles nous effectuons des raccourcis voués à réduire l incertitude inhérente au monde qui nous entoure. Pour faire face à l aversion humaine pour l'ambiguïté, le cerveau procède d un fonctionnement probabiliste, raisonnant et élaborant des prédictions basées sur ces heuristiques et la représentation interne qu il possède de son environnement. Ainsi, nous comprenons, apprenons et recevons plus facilement ce qui ne nécessite pas un effort prédictif démesuré, ce qui a été intégré dans un schéma d apprentissage. La compréhension permet, en effet, de réduire le coût d entrée au message, d en réduire la friction. 

Rien ne facilite la réceptivité à un message dans une sorte d absolu, il n y pas un principe unique et standardisé que l on peut appliquer uniformément. S il y avait une formule magique qui s appliquait à tout le monde, quelqu un l aurait trouvée et elle serait utilisée, notamment en matière de prévention et de sensibilisation. La réceptivité dépend toujours du messager, du médium et du destinataire , déclare le docteur en neurosciences cognitives Albert Moukheiber*. Elle est toujours conditionnée à cette interaction émetteur-message-vecteur-récepteur . D où l importance de prendre en compte les normes sociales et culturelles, les points de repères d une audience lors de la conception d un message et dans la manière de l adresser. Albert Moukheiber d illustrer son propos : un constat assez répandu en cas de refonte d une interface porte sur l accueil que vont lui réserver les différents publics : alors que l expérience est neutre pour les nouveaux utilisateurs, les anciens peuvent être mécontents et perdus. Chez les seconds, l expérience est négative car ils appréhendent l interface par le prisme de repères et de schémas devenus obsolètes, repères inexistants chez les premiers.  

Toujours à cet égard, la contextualisation est déterminante. Les publicités diffusées au cinéma dépendent du film projeté , remarque Albert Moukheiber : un propos qui fait écho à la célèbre expression d'un ancien grand dirigeant*. Notre cerveau semblerait plus disposé à recevoir le message lorsque le contexte s y prête. Pour résumer, la réceptivité est en lien, entre autres, avec nos connaissances, son caractère nouveau et sa saillance, c est-à-dire sa capacité à retenir notre attention, dans un contexte donné. 

Entre contextualiser et adapter, il n y a qu un petit pas que nous serions tentés de franchir, d autant plus qu Internet change la donne dans la manière d adresser les messages. Avant, il était possible de passer entre les mailles du filet avec un contenu standardisé. Désormais, avec Internet, la vitesse de communication et la variabilité intergroupes des informations, cela devient plus compliqué. Et c est là que la distinction majeure s opère, non pas au niveau individuel mais au niveau groupal , c est-à-dire celui de communautés. Une distinction qu illustre parfaitement le phénomène des mèmes, très efficace sur les initiés, inopérante sur les novices.  

La gamification joue sur l engagement 

Si le lien entre réceptivité et compréhension est établi, qu en est-il du lien entre réceptivité et le sacro-saint engagement recherché par les communicants ? En la matière, le docteur en neurosciences nuance le propos : Il y a un lien entre nouveauté et réceptivité, mais pas nécessairement entre engagement et réceptivité. On a tendance à apprécier soit ce qui est neuf et stimulant soit ce que l on comprend. Et c est d ailleurs sur l engagement que se fonde la gamification dont le secteur de la communication se montre friand depuis quelques années. Un procédé adapté quand on veut qu une personne réalise un effort soutenu dans la durée : cela va ludifier l exercice.

Pour Loïck Tanguy, le jeu va agir sur l expérience, l apprentissage, ce que l on appelle aussi : le faire . Chief Marketing Officer chez epresspack, il a longtemps évolué dans l univers des jeux vidéos et éducatifs. A l image des muscles, le cerveau est un organe paresseux, structuré en fonction de nos schémas d apprentissage : il va chercher le plus court chemin en vu d un résultat. Le jeu, en s appuyant sur des stimuli non objectifs, modifie nos chemins de pensée. Et cela, car il joue sur l émotion, qui entraîne une réaction plus rapide du cerveau. Plus le chemin sera court, plus l information sera facilement intégrée et restera en mémoire

En matière de gaming et de réalité virtuelle, l enjeu du marketing et de la communication est de construire des stimuli adaptés, basés sur ce diptyque (émotion-action). A cela, Loïck Tanguy superpose la notion du moi , prégnante dans l univers des jeux vidéos par le biais des avatars. Il cite la campagne WWF #NoBuildChallenge , primée lors des derniers Grands Prix COM-ENT. Dans cette campagne, tous les ingrédients sont réunis : une mission générant la fierté de faire, des émotions, l identification par l incarnation et cela avec une déontologie irréprochable, fondée sur l économie des ressources naturelles. Résultat, en très peu de temps, elle permet d intégrer des réflexes sur des concepts pourtant de prime abord peu évidents

Le docteur Albert Moukheiber semble toutefois réservé sur la durée de vie, à toutes fins utiles, d un tel procédé. Le phénomène de gamification commence à s essouffler. Aussi parce que l avenir qu on est en train de gamifier n est pas très intéressant : le facteur nouveauté est en train de disparaître. Selon lui, ce qui fonctionne encore en la matière, c est l aspect social : le fait de pouvoir se comparer à ses pairs. 

Et les fake news dans tout ça ?

Comme évoqué précédemment, le cerveau fonctionne sur la base d a priori, et, de plus, cherche à créer la cohérence dans notre système de croyances. C est, entre autres, sur ce point que les fake news vont agir : nous avons tendance à prêter attention aux informations qui sont en accord avec nos croyances et nous aident à les maintenir : c est ce que l on appelle le raisonnement motivé. Parmi les raisons qui alimentent le phénomène infox, leur caractère saillant (humour, drame, indignation ) ou encore, notre propension à la paresse : à première vue, nous n avons aucune raison de douter de leur authenticité ; la démarche de vérification n est donc pas enclenchée. Les fakes news favorisent la baisse de vigilance quand la limite avec nos affinités ou nos heuristiques est ténue et abonde dans le même sens. Cela n a rien à voir avec l intelligence et le niveau d éducation. , précise le docteur en neurosciences cognitives. Il nuance toutefois leur portée: Les nouvelles recherches sont en train de montrer qu elles n ont pas vraiment d impact sur la sphère réelle, en tout cas moins que ce que l on a pu croire par le passé. Les gens y croient mais n agissent pas dessus.

Quelle solution pour ne pas tomber dans leur piège ? La réponse est forcément collective : les fake news auxquelles je peux croire sont sûrement très différentes des fake news auxquelles vous allez croire. En apprenant à nous faire confiance, nous pouvons être les garde-fous les uns des autres. Une personne peut être la vigilance d une personne sur un sujet, et réciproquement, ce n est pas juste un travail individuel . L idée est de sortir de la polarisation et de l entre-soi pour se confronter à des systèmes de croyances différents. 

Qu il s agisse de la qualité des messages adressés au public, de leur véracité et de la méthodologie employée, le fonctionnement du cerveau humain semble inviter à se poser la question de l éthique du métier : le fact checking, une démarche inclusive, voire participative, et transparente, la réintroduction du temps long dans l élaboration des contenus, une certaine sobriété également, sont quelques leviers pour tendre vers la cohérence et favoriser la confiance qui fait encore défaut : rappelons qu en 2019, le Edelman Trust Barometer révélait que seul 23 % des Français.es font confiance aux marques. 

*Albert Moukheiber est docteur en neurosciences cognitives, psychologue clinicien et chargé de cours à l université de Paris 8 Saint-Denis. Il est l auteur de Votre cerveau vous joue des tours paru aux éditions Allary.

Merci à Albert Moukheiber et Loïck Tanguy  


** Ce que nous vendons (...), c est du temps de cerveau humain disponible (...) , extrait de l'expression formulée en 2004 par Patrick Le Lay, alors PDG du groupe TF1.

Par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT

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