De la Californie des années 60, berceau d Internet, a émergé progressivement un modèle économique et social collaboratif devenu planétaire, qui a changé nos vies. Que reste-t-il aujourd hui de l esprit des pionniers de ce modèle et peut-il s épanouir dans un entrepreneuriat « à la française » ?
Du mouvement hippie à l individualisme : des racines fondamentalement américaines
Au lendemain de la guerre froide, un mouvement culturel inédit émerge en Californie. Les pionniers du web sont des jeunes hackers, des chercheurs passionnés par les prémices de l intelligence artificielle ou des intellectuels soucieux de penser un nouveau projet de société. Cette jeunesse a un objectif commun : bâtir une communauté basée sur le partage, la singularité et l esprit d entreprise. A la fin des années 60, le mouvement hippie abandonne sa visée politique et promeut davantage une révolution culturelle, où l individu se recentre sur lui-même pour élever sa conscience, et produire un monde nouveau à partir de sa propre expérience et de son développement personnel.
Les Etats-Unis, où a fleuri le « libertarianisme » qui prône la coopération libre et volontaire entre les individus, où le champ des possibles est perçu sans limites, offrait un terreau particulièrement propice à ce nouveau modèle socio-économique. La culture européenne, et a fortiori française, est différente. Elle s articule autour de forces organisées, collectives, où la raison prime sur l imagination. On touche ici à deux conceptions du progrès très différentes : l approche française est plus verticale et doctorale, la dynamique américaine favorise une culture de l innovation plus agile pour conquérir de nouveaux marchés.
Préserver l éthique des pionniers
Le principal héritage des pionniers du web est une vision optimiste du monde, qui se nourrit d humanisme ; notre environnement digital est l expression d une forme positive d utopie, qui croit aux communautés de partage et aux interactions entre les gens.
En revanche, la dimension éthique des hackers d origine est probablement ce qui doit faire l objet de la plus grande vigilance de la part de nos politiques : il est essentiel que notre économie capitaliste soit inclusive, et qu elle ne serve pas uniquement une fraction de la société, à la fois sur le plan de l emploi, mais aussi de l éducation, de la culture ou de la santé. On voit bien les dérives de l ubérisation à tout crin : d un côté ceux qui créent de la richesse numérique et qui consomment, de l autre ceux qui en assurent la logistique, dans une forme de précarité grandissante.
Les voies d une économie collaborative « à la française »
Ces dernières années, on assiste à une prise de conscience forte des excès du « cyber-optimisme », en grande partie portée par les Européens. La taxation numérique sur les GAFA illustre bien cet enjeu symbolique majeur, et une volonté de régulation plus éthique. Au-delà de la question fiscale se pose celle du pouvoir écrasant de ces entreprises sur nos vies. L émergence et le succès français de start-up dans l économie sociale et solidaire reflètent cette préoccupation du lien commun, et non de la seule relation entreprise-consommateur.
L économie collaborative à la française serait donc un compromis entre la dimension marchande et l intérêt général.Portée par une vision « prud hommiste », elle propose une société certes connectée, mais où la place physique de l humain reste importante. C est un écosystème créatif, qui concilie le travail indépendant et le partage. Avec les limites inhérentes à la compétition forcenée qui règne sur ces marchés : comment payer dignement ses salariés alors qu on se prévaut de philanthropie ? L avenir de ces entreprises dépendra de leur capacité à gérer efficacement ce paradoxe entre éthique et business.
Monique Dagnaud est auteure de l essai "Le modèle californien - Comment l esprit collaboratif change le monde".
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L’économie collaborative change le monde… pour le meilleur ?
2018-05-18 09:30:00
lescommunicants.fr
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2021-09-23 16:48:00
2018-05-18 09:30:00
Equipe Com-Ent
De la Californie des années 60, berceau d Internet, a émergé progressivement un modèle économique et social collaboratif devenu planétaire, qui a changé nos vies. Que reste-t-il aujourd hui de l esprit des pionniers de ce modèle et peut-il s épanouir dans un entrepreneuriat « à la française » ?
Du mouvement hippie à l individualisme : des racines fondamentalement américaines
Au lendemain de la guerre froide, un mouvement culturel inédit émerge en Californie. Les pionniers du web sont des jeunes hackers, des chercheurs passionnés par les prémices de l intelligence artificielle ou des intellectuels soucieux de penser un nouveau projet de société. Cette jeunesse a un objectif commun : bâtir une communauté basée sur le partage, la singularité et l esprit d entreprise. A la fin des années 60, le mouvement hippie abandonne sa visée politique et promeut davantage une révolution culturelle, où l individu se recentre sur lui-même pour élever sa conscience, et produire un monde nouveau à partir de sa propre expérience et de son développement personnel.
Les Etats-Unis, où a fleuri le « libertarianisme » qui prône la coopération libre et volontaire entre les individus, où le champ des possibles est perçu sans limites, offrait un terreau particulièrement propice à ce nouveau modèle socio-économique. La culture européenne, et a fortiori française, est différente. Elle s articule autour de forces organisées, collectives, où la raison prime sur l imagination. On touche ici à deux conceptions du progrès très différentes : l approche française est plus verticale et doctorale, la dynamique américaine favorise une culture de l innovation plus agile pour conquérir de nouveaux marchés.
Préserver l éthique des pionniers
Le principal héritage des pionniers du web est une vision optimiste du monde, qui se nourrit d humanisme ; notre environnement digital est l expression d une forme positive d utopie, qui croit aux communautés de partage et aux interactions entre les gens.
En revanche, la dimension éthique des hackers d origine est probablement ce qui doit faire l objet de la plus grande vigilance de la part de nos politiques : il est essentiel que notre économie capitaliste soit inclusive, et qu elle ne serve pas uniquement une fraction de la société, à la fois sur le plan de l emploi, mais aussi de l éducation, de la culture ou de la santé. On voit bien les dérives de l ubérisation à tout crin : d un côté ceux qui créent de la richesse numérique et qui consomment, de l autre ceux qui en assurent la logistique, dans une forme de précarité grandissante.
Les voies d une économie collaborative « à la française »
Ces dernières années, on assiste à une prise de conscience forte des excès du « cyber-optimisme », en grande partie portée par les Européens. La taxation numérique sur les GAFA illustre bien cet enjeu symbolique majeur, et une volonté de régulation plus éthique. Au-delà de la question fiscale se pose celle du pouvoir écrasant de ces entreprises sur nos vies. L émergence et le succès français de start-up dans l économie sociale et solidaire reflètent cette préoccupation du lien commun, et non de la seule relation entreprise-consommateur.
L économie collaborative à la française serait donc un compromis entre la dimension marchande et l intérêt général.
Portée par une vision « prud hommiste », elle propose une société certes connectée, mais où la place physique de l humain reste importante. C est un écosystème créatif, qui concilie le travail indépendant et le partage. Avec les limites inhérentes à la compétition forcenée qui règne sur ces marchés : comment payer dignement ses salariés alors qu on se prévaut de philanthropie ? L avenir de ces entreprises dépendra de leur capacité à gérer efficacement ce paradoxe entre éthique et business.
Monique Dagnaud est auteure de l essai "Le modèle californien - Comment l esprit collaboratif change le monde".
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