par Véronique Cayado, Docteure en psychologie, Spécialiste du bien-vieillir, Institut Oui Care
Série thématique "Les papiers prospectifs"
Trois millions de seniors en plus d’ici 2030, et ce n’est qu’un début ! La vague démographique qui se profile portera en masse dans le grand âge la génération du baby-boom, les fameux “boomers”. Quel avenir pour ces nouveaux vieux si désireux de vivre jusqu'au bout leur libre choix ?
En quoi, cela revêt-il une dimension historique ?
C’est certainement la première fois de l’humanité que des sociétés compteront autant d’individus très âgés, la conséquence du vieillissement accéléré de la population.
Rien à voir avec l’idée de vieillir de plus en plus vite, le vieillissement accéléré signifie que la part des personnes âgées de 65 ans et plus augmente de manière exponentielle sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs : un changement de dynamique démographique d’abord, lié à un taux de natalité faible, en dessous du seuil de remplacement des générations, et à l’allongement significatif de l’espérance de vie ; un effet plus transitoire, ensuite, avec l’arrivée à des âges avancés de la génération très nombreuse du baby-boom.
De plus en plus de vieux qui vivent de plus en plus longtemps, c’est le changement démographique qui se dessine avec en ligne de mire un nombre de centenaires qui pourrait passer de 15 646 personnes en 2019 à 270 000 individus en 2070. Plus globalement, c’est toute la population des 85 ans et plus qui va connaître la plus forte croissance dans les années à venir.
Le grand-âge et le risque de dépendance
Vivre dans le grand âge, c’est aussi vivre un moment charnière dans le vieillissement avec potentiellement un risque accru de dépendance et de perte d’autonomie. Alors attention, je parle bien de “risque” car il n’y a rien d’automatique : 18 % des personnes âgées de 80 à 89 ans sont identifiées comme “dépendantes” en France, ce chiffre montant à 50 % à partir de 90 ans. Les situations de dépendance dans le grand âge ne caractérisent donc pas toutes les trajectoires de vieillissement avancé et, par ailleurs, lorsque c’est le cas, elles ne caractérisent qu’une petite partie de leur vie de “plus âgés”.
Si la question du financement de la dépendance se pose avec acuité du fait de l'arrivée des premiers baby-boomers dans le grand-âge, c’est que proportionnellement cela va représenter une masse de population plus importante. Selon les scénarios, on estime entre 15 % et 33 % l’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes entre 2015 et 2030, avec une accélération encore plus importante de 2030 à 2040.
Qui sera là pour les soutenir ?
Actuellement, quand on a besoin d’aide en vieillissant pour réaliser certains actes de la vie quotidienne, c’est la famille qui intervient en premier lieu, du moins pour les personnes vivant à domicile, ce qui est le cas de 90 % des 75 ans ou plus. On peut donc clairement dire que le système d’assistance actuel repose sur les aidants familiaux qui peuvent parfois en payer un lourd tribut. Comment les futures générations de grand-âgés s'accommoderont de ces réalités ?
Si rien ne change d’ici là, il y a fort à parier qu’ils en souffriront car d’après ce que nous avions observé en 2019 (Enquête Oui Care/Stethos Social Lab), les boomers aspirent avant tout à ne pas dépendre de l’aide de leurs enfants. Seuls 19 % des boomers interrogés considéraient que c’est le rôle des enfants de s’occuper de leurs parents devenus dépendants, alors que 81 % d’entre eux estimaient préférable que ce soit des professionnels de l’aide à domicile qui s’occupent d’eux.
Le problème est que pour l’heure, les métiers de l’aide à la personne souffrent d’un manque patent d'attractivité. Les professionnels n’étant déjà pas en nombre suffisant pour accompagner les plus âgés, qu’en sera-t-il en 2030 où les besoins seront encore plus criants ?
Quant aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, non seulement on sait déjà que les places vont manquer, mais le fonctionnement actuel n’est absolument pas pensé et adapté à cette nouvelle génération qui arrive.
Au-delà des chiffres : des femmes et des hommes
Qu’est-ce qui caractérise cette génération née après-guerre ? Émancipation, revendication, affranchissement sont des expressions qui collent assez bien aux boomers. Cette génération s’est construite en rupture avec les mœurs dominantes, en suivant une philosophie de vie plus en accord finalement avec la société de consommation de masse. Bien oui, pour consommer, il faut pouvoir trouver un intérêt à la satisfaction immédiate de son désir individuel. L’affirmation de son désir comme mode d’épanouissement personnel devient le crédo de cette nouvelle société qui se dessine. Mais cette affirmation du désir individuel ne s’arrête pas aux droits du consommateur, elle constitue un puissant support identitaire dans le sens où le principe de libre choix devient structurant à la fois au niveau de l’image de soi et sur le plan des conduites individuelles. L’autodétermination - entendue comme le pouvoir d’agir sur sa vie en effectuant librement des choix sur ce qui est important pour soi - apparaît constitutive des projets de vie des boomers.
Une génération qui revendique ses droits à l’autodétermination
Pouvoir disposer de son existence comme on l’entend est une préoccupation des boomers qui ressort à différents niveaux de notre enquête Oui Care/Stethos Social Lab. Ainsi, leur principale crainte associée au vieillissement est de “perdre leurs capacités mentales”, la deuxième étant de “devenir une charge pour l’entourage”. Plus que tout - plus que de “ne plus pouvoir se déplacer” ou “la perte de mémoire” - les boomers craignent de perdre leurs capacités à pouvoir délibérer et décider en raison et en conscience. Ils ont donc peur de perdre leur autonomie de jugement permettant de se gouverner soi-même.
Cette crainte se transformera-t-elle en revendications et en droits ?
C’est la question cruciale des prochaines années. Elle se pose déjà avec acuité aujourd’hui, que se soit en termes de respect de la citoyenneté, du droit aux risques, du droit à vivre sa vie avec les autres. Tous ces sujets sont au cœur d’un changement de mentalité autour de l’égalité de droits des personnes âgées vulnérables. Ce changement de regard suppose de sortir d’une vision exclusivement médicale et pathologique de la vieillesse pour finalement revenir davantage aux valeurs du rapport Laroque de 1962.
De telles revendications à l’autodétermination dans le vieil âge existent déjà, à l’image de l’association Old’Up. Mais l’enjeu des années futures va plus loin ; il concerne la préservation de ce droit malgré les dépendances.
Cette revendication à l’autodétermination pliera-t-elle sous le poids du contexte ?
Le libre choix n’est même plus seulement un droit à préserver, pour la génération qui vient, cela fait partie de leur identité, c’est ce qui leur permet aussi d’asseoir des sentiments positifs en termes d’estime et de confiance en soi.
Porter atteinte à leur libre choix, c’est détruire une part importante d’eux-même, qu’aucune aide ne pourra compenser. Autrement dit, on n’est pas seulement sur une question d’égalité des droits, on touche aussi à des aspects de prévention, de santé et de maintien de l’autonomie.
Il est malheureusement fort probable que ces nouveaux grand-âgés, tant décriés par ailleurs, essuieront les plâtres pour que puissent se construire de réelles conditions de vie dans le grand âge qui soient dignes et non-excluantes.
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