Le 9 mars 2018, Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard ont remis un rapport intitulé « L entreprise, objet d intérêt collectif » aux ministres de l Économie, du Travail, de la Justice et de l Écologie. Savant dosage de mots, le rapport a d abord une vocation symbolique : affirmer que l entreprise a un objet social qui est une « raison d être » ne se réduisant pas à « l intérêt commun des associés » (article 1833 du Code civil), mais devant inclure les « enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
La volonté d adjoindre une telle mention à la loi, sans pour autant évoquer les « parties prenantes » de l entreprise, et définir des objectifs spécifiques selon les types d entreprises et les situations concernées, pourrait apparaître timide ou même purement cosmétique. Pourtant, l évolution n est pas que terminologique : elle reconnaît la nécessaire autonomie des entreprises qui doivent se saisir de leur responsabilité pour justifier leur inscription dans un environnement social et naturel (au point de devoir faire figurer leur raison d être dans leurs statuts, de développer son évaluation, de créer un comité d impact et de publier une déclaration de performance extra-financière). Ainsi, plutôt que de traiter les entreprises comme des acteurs à mettre sous tutelle, donc des mineurs, le rapport prend ses distances face à une tendance parfois très française à ne voir le bien que dans l État.
Dès 2015 et 2016, le Think Do Tank Prospective de Com-Ent avait anticipé la tendance en publiant deux volumes sur ce sujet : l un destiné à construire la généalogie théorique de la question du bien commun en entreprise (Petite histoire du lien entre Bien commun et Entreprise) et l autre visant à évoquer, sous la forme d entretiens, les paroles des acteurs (Regards croisés sur le lien entre Bien commun et Entreprise). Le fil de ces ouvrages était moins de dessiner une unique solution que de soulever la complexité de la thématique, en remarquant qu il y avait bien une demande sociale d incarnation du bien commun par l entreprise. Plus précisément, l articulation des deux volumes pointait l incitation très forte pour construire un discours du bien commun dans et par l entreprise, au moment où l État comme la société ne pouvaient à eux seuls être les acteurs d un bien social et environnemental désormais inscrit dans une logique économique mondialisée. Si les divergences d interprétations entre les points de vue des acteurs pouvaient affleurer, notamment parce qu ils étaient issus de mondes différents, parfois en tension ou en conflit (politique, économique, associatif, syndical, intellectuel ), il résultait clairement de l entrecroisement de leurs regards que nul ne pouvait ignorer le changement de perception de l objet social de l entreprise, quitte à n y voir qu un habillage de fonctions inchangées.
Le discours que l entreprise a désormais sur elle-même ne peut plus faire l économie de la préoccupation pour son impact social et environnemental, et il ne s agit pas seulement d un « supplément d âme », mais d une façon de redessiner l objet de son activité.Si le rapport de mars dernier reste prudent quant à la façon de considérer l articulation entre les intérêts des particuliers et l intérêt de la société, la révolution de l entreprise semble désormais amorcée. En prenant en compte les retombées de son activité, l entreprise en vient à reconfigurer cette activité, puisque le bien commun de ses salariés comme celui de son environnement sont indissociables. Le défi lancé aux communicants de l entreprise semble ainsi de devenir des promoteurs de cette prise de conscience, puisqu à mesure de l effacement des frontières entre l entreprise et la société se joue le bien-être des deux : une entreprise qui se porte bien sera une entreprise qui agit positivement dans sa société. Geoffroy Lauvau, Agrégé et docteur en philosophie
(Re)découvrez les deux parutions COM-ENT sur le Bien Commun !
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L’entreprise, un acteur (enfin) reconnu du bien commun ?
2018-08-20 09:30:00
lescommunicants.fr
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2021-09-23 16:48:00
2018-08-20 09:30:00
Equipe Com-Ent
Le 9 mars 2018, Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard ont remis un rapport intitulé « L entreprise, objet d intérêt collectif » aux ministres de l Économie, du Travail, de la Justice et de l Écologie. Savant dosage de mots, le rapport a d abord une vocation symbolique : affirmer que l entreprise a un objet social qui est une « raison d être » ne se réduisant pas à « l intérêt commun des associés » (article 1833 du Code civil), mais devant inclure les « enjeux sociaux et environnementaux de son activité ».
La volonté d adjoindre une telle mention à la loi, sans pour autant évoquer les « parties prenantes » de l entreprise, et définir des objectifs spécifiques selon les types d entreprises et les situations concernées, pourrait apparaître timide ou même purement cosmétique. Pourtant, l évolution n est pas que terminologique : elle reconnaît la nécessaire autonomie des entreprises qui doivent se saisir de leur responsabilité pour justifier leur inscription dans un environnement social et naturel (au point de devoir faire figurer leur raison d être dans leurs statuts, de développer son évaluation, de créer un comité d impact et de publier une déclaration de performance extra-financière). Ainsi, plutôt que de traiter les entreprises comme des acteurs à mettre sous tutelle, donc des mineurs, le rapport prend ses distances face à une tendance parfois très française à ne voir le bien que dans l État.
Dès 2015 et 2016, le Think Do Tank Prospective de Com-Ent avait anticipé la tendance en publiant deux volumes sur ce sujet : l un destiné à construire la généalogie théorique de la question du bien commun en entreprise (Petite histoire du lien entre Bien commun et Entreprise) et l autre visant à évoquer, sous la forme d entretiens, les paroles des acteurs (Regards croisés sur le lien entre Bien commun et Entreprise). Le fil de ces ouvrages était moins de dessiner une unique solution que de soulever la complexité de la thématique, en remarquant qu il y avait bien une demande sociale d incarnation du bien commun par l entreprise. Plus précisément, l articulation des deux volumes pointait l incitation très forte pour construire un discours du bien commun dans et par l entreprise, au moment où l État comme la société ne pouvaient à eux seuls être les acteurs d un bien social et environnemental désormais inscrit dans une logique économique mondialisée. Si les divergences d interprétations entre les points de vue des acteurs pouvaient affleurer, notamment parce qu ils étaient issus de mondes différents, parfois en tension ou en conflit (politique, économique, associatif, syndical, intellectuel ), il résultait clairement de l entrecroisement de leurs regards que nul ne pouvait ignorer le changement de perception de l objet social de l entreprise, quitte à n y voir qu un habillage de fonctions inchangées.
Le discours que l entreprise a désormais sur elle-même ne peut plus faire l économie de la préoccupation pour son impact social et environnemental, et il ne s agit pas seulement d un « supplément d âme », mais d une façon de redessiner l objet de son activité.
Si le rapport de mars dernier reste prudent quant à la façon de considérer l articulation entre les intérêts des particuliers et l intérêt de la société, la révolution de l entreprise semble désormais amorcée. En prenant en compte les retombées de son activité, l entreprise en vient à reconfigurer cette activité, puisque le bien commun de ses salariés comme celui de son environnement sont indissociables. Le défi lancé aux communicants de l entreprise semble ainsi de devenir des promoteurs de cette prise de conscience, puisqu à mesure de l effacement des frontières entre l entreprise et la société se joue le bien-être des deux : une entreprise qui se porte bien sera une entreprise qui agit positivement dans sa société.
Geoffroy Lauvau, Agrégé et docteur en philosophie
(Re)découvrez les deux parutions COM-ENT sur le Bien Commun !
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