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TYPHAINE D : “Je suis convaincue que les mots ont un immense pouvoir”

LES ESSENTIELS

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23/09/2019

Comédienne, autrice, professeuse de théâtre, coache, conférencière et formatrice : voici pour les présentations. Et encore, le portrait n est pas tout à fait exhaustif : il faudrait rajouter, a minima, féministe, engagée et animée. Animée par l envie de donner des outils aux femmes et aux enfants pour permettre leur éclosion, limiter les entraves dues à l éducation et la perpétuation des stéréotypes. Des convictions que Typhaine D met en exercice dans le cadre d ateliers individuels ou en entreprises. Nous l avons rencontrée à l occasion du coaching organisé par le réseau Toutes femmes, Toutes communicantes

D où vient votre engagement en faveur de la cause des femmes ? 

Typhaine D : Mon engagement a différentes sources : depuis petite, je suis très en colère contre l injustice. J ai vite compris que ces injustices étaient encore plus grandes pour les femmes, même si on m affirmait sans cesse le contraire. Mon passage dans les écoles de théâtre n a rien arrangé à ma colère, d autant plus que l on pourrait s attendre à entrer, enfin, dans un monde moins discriminatoire. Il n en est rien. Le monde de la culture compte également ses injustices, à cette différence près, qu elles y sont transcendées en art. Si vous les pointez du doigt dans une création, vous vous entendrez répondre que vous n avez rien compris à la volonté de l artiste ! . C est un monde où les hommes sont valorisés, quand les femmes sont mises en division : parce qu il y a moins de places pour elles, elles sont forcément plus chères. 

Forte de ces constats, je me suis investie dans des associations ayant pour vocation de défendre les femmes et leurs droits : c est mon engagement premier et il n a fait que grandir depuis. Selon moi, l oppression des femmes est celle qui permet toutes les autres. Pour y mettre un terme, je crois en la sororité, en l entraide : nous avons pu éprouver leur force avec #Metoo. D où mon désir de donner des outils aux femmes et aux enfants et d aboutir à une stratégie collective. 

En tant que coache, êtes-vous particulièrement exposée aux stéréotypes et aux agissements sexistes ?

Toutes les femmes, de toutes les strates de la société, sont concernées par les agissements sexistes : des comédiennes, des femmes en situation de précarité, de reconversion, des salariées de grandes entreprises, des étudiantes en école d ingénieur ou encore, des travailleuses en usine, avec, bien sûr, des subtilités dans la manière dont ils sont menés. En tant que coache, c est mon premier constat. Ce qui varie en revanche, ce sont les leviers auxquels elles ont recours pour s en soustraire : le soutien et l écoute de leurs proches, les ressources culturelles et sociales. Celles-ci dépendent, en grande partie, du milieu dont elles sont issues. Car, non seulement, les oppressions peuvent s ajouter les unes aux autres, mais en s'additionnant entre elles, elles se multiplient ! Bien sûr, plus on va cumuler d oppressions, plus il va sembler difficile d en réchapper. Mais on peut être puissante, féministe, mise sous emprise et ne pas savoir non plus comment s en sortir.  

Quelles conséquences sur la confiance et la progression professionnelle ?

L éducation contribue indéniablement à générer ou entretenir les stéréotypes de genres et à écorner la confiance en soi des femmes. On dira d un garçon qu il a du caractère, alors qu une fille sera autoritaire . Les signes d un fort tempérament sont valorisés chez les garçons. Inversement, on encouragera, chez les filles, la discrétion et la studiosité. Il en résulte souvent le syndrome de la bonne élève. Cette perception de modèles radicalement différents, très genrés, n est pas sans conséquences dans la construction de l enfant : en 2017, une étude publiée dans la revue américaine Science montrait que dès l âge de 6 ans, les petites filles se pensaient moins intelligentes que les garçons. D autres études attestent de l impact de la dévalorisation sur la performance scolaire, y compris dans des groupes sociologiquement homogènes. Les femmes dépréciées et réassignées à leur rôle inférieur réussissent ainsi moins bien. On voit là le poids des préjugés. C est d ailleurs le fil conducteur de ma pièce « Contes à rebours », dans laquelle les héroïnes se racontent à l endroit. Car les modèles sont terrifiants : comment se projeter dans la vie, pleine et entière, si on se base sur un imaginaire collectif dans lequel les femmes sont empêchées de penser leur émancipation ? On ne peut désirer ce que l on ne peut rêver. 

A l école, déjà, les violences envers les femmes sont caractérisées, verbales, et dans les cas les plus graves, sexuelles. Et se maintiennent dans le monde du travail. Au moment de la grossesse, notamment : les femmes sont pénalisées, freinées dans leur progression, se voient imposer des mi-temps, quand les directions sont enclines à accorder une augmentation aux pères. Dans les médias ou en entreprises, le sexisme est récurrent, omniprésent et provoque un sentiment d insécurité. Or, la violence sidère, dissocie, elle empêche d être incarné, de se considérer dans toute son entièreté. C est ce mécanisme latent et continu qui est combattu dans sa globalité par les féministes. Le modèle porté par le projet féministe est dénué de compétition : chacun.e peut y prendre sa place et réussir sans écraser l autre pour cela.

L absence de conscience de ces agissements : ignorance ou hypocrisie ? 

Je pense qu il y a les deux. Avant, il y avait beaucoup d ignorance mais désormais, les médias relaient les agissements sexistes et concourent à porter l ampleur du phénomène à la connaissance de toutes et tous. Dans un tel contexte, le fait de les ignorer relève davantage du déni, y compris du côté des opprimées, notamment quand les violences sont perpétrées par un conjoint, un fils, un père. Prendre conscience des mécanismes en jeu peut être douloureux et demande du temps. Bien entendu, il y aussi ceux qui tirent avantage de cette oppression. Car, pour ne pas entendre le souffle de #Metoo, il faut avoir la volonté de s accrocher à l ignorance. Hypocrisie, aussi et parfois, car il est pratique de prétendre découvrir un sujet et de l oublier aussitôt. Ceux qui s accrochent au patriarcat sont ceux qui n ont pas intérêt que cela change, c est-à-dire qui se sont construits au détriment d autrui. La finalité du sexisme signifie, bien évidemment, la fin des privilèges masculins, et sur le long terme un échange et un partage plus justes : in fine, tout le monde, hommes et femmes, serait gagnant et plus heureux.

Quels sont vos outils ? 

Il me semble essentiel d aligner mes métiers avec mes convictions et c est dans cette démarche que je développe mon approche. Il n y a pas de cloisonnement : les pièces que j écris sont autant d instruments mis en scène, de moyens de défendre mes convictions, au même titre que mes interventions en entreprises et en associations.

En termes de coaching, ma démarche comprend deux étapes : dans un premier temps, il s agit de replacer les responsabilités où elles se trouvent et de comprendre l origine de ces mécanismes, condition sine qua none pour faire taire la petite voix de détestation. Dans un deuxième temps, il s agit de se réarmer, de retrouver sa puissance pour faire évoluer le monde. Tout au long de ce travail, le langage a son importance. A commencer par les mots. 

La première pierre consiste à réhabiliter la notion de victime . Ce statut de victime ne caractérise pas la personne mais un fait. C est accepter que l on n y est pour rien, que cela nous est arrivé, c est tout. Que l on n est pas la seule à subir ces agissements, que toutes les femmes, ou presque, sont confrontées à ces situations. C est, aussi, prendre enfin conscience que l on n est pas coupable. Ensuite, il s agit de se redresser, de comprendre que les moyens d agir sont à notre portée : c est ça le féminisme ! Cela fait d ailleurs partie des choses à prendre dans l éducation des garçons : acquérir la certitude que l on peut y arriver, que l on est forte et que l on a raison d être fière de soi.  

Une fois ce travail de compréhension accompli, l énergie d ordinaire tournée vers la culpabilisation peut alors être mobilisée pour réaliser que les ressources et l immense potentiel à déployer sont déjà présents en soi. S en suit l acquisition de techniques visant à avoir confiance et conscience des messages envoyés avec notre corps. Posture, voix, intonation, diction, débit, respiration, appuis : autant d outils qui vont aider les femmes à investir pleinement leur place. Il faut garder en mémoire que les mots ne représentent que 10 % de ce qu un auditoire retient d un discours. Le langage corporel, la façon d utiliser la voix, la gestuelle, en résumé, le paraverbal bien au-delà des mots, force l attention. Maîtriser et appuyer la portée d un message en conscience, c est entrer en résonance avec son auditoire. 

Lauréate du concours d éloquence de la Fondation des Femmes* en 2018, jury du concours de Cyber-éloquence organisé par COM-ENT cette année : quelle est la force de l éloquence ? 

L éloquence, selon moi, c est la meilleure manière de poser ses pensées et valeurs en mots dans le but de les transmettre. Je suis convaincue que les mots ont un immense pouvoir, les personnes qui nous gouvernent le savent d ailleurs. La richesse et la diversité du vocabulaire permettent de développer une pensée plus complexe, nuancée. Lorsque cette capacité d expression, de justice et de lutte s offre au plus grand nombre, la démocratie peut s imposer. Toutes les initiatives qui permettent aux personnes de se réapproprier les outils de pensée et de briser les oppressions sont positives !

Plus d'informations sur le site de Typhaine D : www.typhaine-d.com et sur sa page Facebook : www.facebook.com/Page.TyphaineD/.

Typhaine D sera en tournée avec ses différents spectacles :
- "Contes à Rebours", samedi 5 octobre à 15h au Café de la Gare 
- "Opinion d'une Femme sur les Femmes" de Fanny Raoul, samedi 12 octobre à 15h au Café de la Gare - "La Pérille Mortelle", mardi 03 décembre à 21h au Café de la Gare et vendredi 8 novembre à 20h30 au Centre Vercingétorix (14e)

Photo : (c) Carlotta Forsberg

Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT



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