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« A-t-on besoin d'un chef ? » Un essai de Mehdi Moussaïd (éd. Allary, octobre 2025)

BONNES FEUILLES

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14/11/2025


Aimez-vous les mathématiques ? Les probabilités ? Ou dirigez-vous simplement une équipe ? Si vous répondez « oui » à l’une de ces questions, le livre de Mehdi Moussaïd, « A-t-on besoin d’un chef — Petit traité d’intelligence collective », devrait vous passionner.

Pourquoi ce choix ? Si l’univers des mathématiques m’est assez étranger, j’avoue qu’il reste fascinant. Peut-être aussi ce titre m’a-t-il attirée pour une raison plus personnelle. Impossible d’oublier cette nuit terribilis vécue au printemps dernier dans un aéroport, après la déviation de mon vol de retour de Milan vers Cologne au lieu de Beauvais, au cours de laquelle je me suis improvisée cheffe de groupe auprès d’une centaine de passagers désemparés. J’ai alors observé, en temps réel, les mécanismes d’une intelligence collective en action — et parfois en panne.

Chercheur à l’Institut Max-Planck de Berlin, Mehdi Moussaïd étudie le comportement des foules. Sa chaîne YouTube Fouloscopie — du titre de son premier essai best-seller — rassemble plus de 500 000 abonnés. Dans ce deuxième ouvrage, il explore la question de l’intelligence collective : sommes-nous plus intelligents à plusieurs ? Pourquoi un groupe bien organisé réussit-il mieux qu’un individu seul ? Comment éviter qu’une réunion ne tourne en rond ? … Rassurez-vous : nul besoin d’être matheux pour apprécier son propos. L’auteur manie l’humour et la pédagogie en convoquant aussi bien Poisson, Cardano ou Darwin que des tests d’intelligence cognitive comme celui de Raven (1936). Car la quête pour mesurer et comprendre l’intelligence remonte au XIXᵉ siècle, au moment où Darwin publie L’Origine des espèces (1859), texte fondateur de la théorie de l’évolution.

À travers une centaine de volontaires, cobayes anonymisés dont ils nous restituent certains propos, Moussaïd montre que la performance d’un groupe dépend d’une alchimie subtile : méthode, contexte, taille, interactions. Ses six grands chapitres abordent tour à tour : la résolution d’un problème de logique ; la mise en commun des connaissances ; la naissance des conflits et des affinités ; la capacité à prédire avec justesse ; le développement d’une pensée stratégique ; l’organisation efficace d’un groupe ; et enfin, la manière de se mettre d’accord. L’un des passages les plus savoureux concerne la gouvernance : qu’est-ce qu’un bon chef ? Qui mène la danse dans une brigade de cuisine ou une équipe sportive ? Le leadership se révèle souvent multiple et mouvant : un joueur discret, mais charismatique, fort d’une dynamique collective, peut impulser la cohésion plus sûrement qu’un capitaine officiel. De même, « … la force d’un groupe ne se résume pas à l’addition de ses talents. Une équipe de génies ne fait pas forcément une équipe géniale. Au contraire, l’alchimie collective trouve sa force dans la qualité des liens entre ses membres. » (1)

Théorisée dans les années 1980 à partir de l’observation des insectes sociaux — fourmis et termites, l’intelligence collective impressionne d’autant plus qu’elle semble nous échapper. Les humains, eux, ont besoin d’un chef. Ou croient en avoir besoin. Depuis 1985, la biologiste américaine Deborah M. Gordon, de Stanford, a montré que certaines d’entre elles restent inactives jusqu’à ce qu’une situation critique survienne : c’est la stigmergie, ou la capacité d’un groupe à s’autoréguler sans chef, par la seule logique de l’action. À cet égard, Wikipédia en est une illustration moderne.

Au fil de 290 pages, Mehdi Moussaïd démontre que l’intelligence collective n’est pas spontanée : c’est une mécanique fine, une ingénierie sociale qui demande rigueur et méthode. La bonne stratégie à adopter avec un groupe ne s’improvise pas et « dépend du type de problème à résoudre, du contexte, de la taille du groupe… Et heureusement, des décennies de recherche en psychologie, en sociologie et en mathématiques ont déjà commencé à baliser le terrain. » Ainsi, l’agrégation des points de vue vaut parfois mieux qu’un consensus ; dans d’autres cas, la « méta-majorité » ou le marché prédictif l’emporte sur l’intuition.

En ces temps où les débats s’enlisent et où chacun veut avoir raison, ce livre tombe à point. L’auteur plaide même pour que cette science de la coopération soit enseignée dès le collège. Et de conclure : « l’intelligence collective ne fonctionne que si tout le monde joue le jeu. » Un essai stimulant, drôle et salutaire — à lire et peut-être à tester lors de votre prochaine réunion d’équipe ou, comme nous y invite l’auteur, à partager : « Passez ce livre à votre voisin » !

Lien vers le premier chapitre...

(1) Extrait p. 245

Chronique proposée par :

FLORENCE BATISSE-PICHET
Fondatrice de l'agence Chemin Lisant

Florence Batisse-Pichet conçoit des contenus éditoriaux et des événements autour du livre. Journaliste et autrice, elle est secrétaire générale du Prix du Livre Nohée et signe régulièrement des chroniques et reportages sur son blog éponyme, et d’autres médias Attitude Luxe, En Train

En partenariat avec Chemin Lisant

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