« Pendant la crise, la communication a été déshabillée de ses artifices »
Louise Beveridge et Benoît Cornu ont tous deux été « personnalités communicantes de l’année », respectivement en 2014 et 2016. Alliant leurs longues et riches expériences professionnelles, ils ont profité de la période du confinement pour lancer JUSTE, un nouveau cabinet de management de transition et de transformation qui vise à mettre les talents de la communication et du marketing au service des entreprises. Ils font part à Delphine Goater, administratrice de COM-ENT et consultante éditoriale pour Missive, de leur analyse des conséquences de la crise sanitaire sur les métiers de la communication.
Quels sont les enseignements que vous tirez de cette période de confinement, en matière de communication ?
Benoit Cornu : J’ai été frappé par deux choses. D’une part, par la rapidité avec laquelle les entreprises se sont adaptées, en mettant en place en quelques jours les dispositifs de gestion de la situation. C’était assez bluffant et cela prouve que les équipes de communication sont bien digitalisées. Par ailleurs, on a vu à travers cette crise à quel point la communication devenait capitale et revêtait une importance stratégique. Elle a été déshabillée de ses artifices, il fallait aller à l’essentiel.
Louise Beveridge : J’y ai vu une double exigence : trouver très rapidement un mode opératoire et logistique, mais aussi adopter le bon ton et le bon langage. L’un était opérationnellement essentiel, bien que difficile, l’autre nécessitait de capter l’émotion et le mood affectif du moment. La question du timing était aussi tout aussi cruciale, mais complexe : que dire, comment le dire, quand le dire ? Elle va rester fondamentale dans les mois qui viennent.
Quelles sont les tendances clés que la crise a révélées ?
Benoit Cornu : Un certain nombre de transformations étaient indéniablement déjà engagées, tandis que d’autres apparaissaient en signaux faibles. Ce qui s’est passé pendant la crise, c’est une accélération phénoménale de ces tendances : ce qui devait disparaître a disparu, ce qui émergeait s’est développé. Une nouvelle esthétique s’est mise en place, autour des visioconférences de type Zoom, et nous avons pris l’habitude de systèmes frustres, avec des interviews très simples de dirigeant.es qui allaient directement au message. Nous avons assisté à une nouvelle incarnation de la communication, avec des patrons qui sont descendus « dans la rue » et ont eu un langage clair. Ils sont passés de la « raison d’être » à la « raison d’agir ». Entre temps, ils ont créé du lien, et ils sont allés sur le terrain de l’opérationnel. Cette nouvelle tendance a un peu déshabillé les organisations.
Louise Beveridge : Nous avons vu à quel point les équipes avaient besoin de basculer entre trois phases : 1 – sécurisation, 2 – accompagnement, 3 – réengagement, ce qui présente de nouvelles complexités, notamment pour l’interne. Toutes les parties prenantes sont essentielles pour la chaîne de valeur de l’entreprise. Plus que jamais, il est nécessaire de garder le lien et l’engagement de tous. Désormais, les notions d’engagement et de réputation sont beaucoup mieux comprises comme des actifs stratégiques, car elles permettent à l’entreprise de continuer à fonctionner et de reprendre son activité.
Pensez-vous que les nouvelles habitudes et les nouveaux comportements observés pendant cette période vont avoir des conséquences sur nos métiers ? Si oui, comment ?
Benoit Cornu : Cette logique de confiance va peut-être rester. Nous avons de moins en moins le temps de nous poser la question du comment faire ? Il faut faire. Nous allons assister à un allégement des organisations avec un objectif d’efficacité, une simplification des méthodes et des process. La constitution d’équipes projets « flash », dans un monde où l’on va beaucoup moins recruter dans les deux ans qui viennent, va devenir un mode opératoire classique. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour l’emploi, mais c’est ce qui va arriver.
Louise Beveridge : Il y aura sans doute plus de direct, moins de mise en scène (nous n’en aurons pas les moyens et cela paraîtra presque de mauvais goût). Le besoin d’agilité ou d’adaptation est un besoin de fond et nous n’allons pas rester dans des schémas d’outils ou de plateformes rigides. La frugalité s’appliquera sur les mises en scène, les équipes, les outils. Nous allons épurer les messages, autant en termes de moyens et de vocabulaire, qu’en termes de décence (la question qui tourne aux Etats-Unis est « What is the new decency ? »).
Comment comptez-vous accompagner ces évolutions à travers votre nouveau concept, JUSTE ?
Benoit Cornu : La création de JUSTE était antérieure à la crise, mais son annonce a été faite le 2 avril. Notre conviction est que les entreprises ont besoin d’avoir recours à la meilleure compétence au bon moment pour un temps limité. Cela s’impose à tous les niveaux de l’entreprise. Elles sont prêtes à développer des modèles de collaboration hybride pour passer des caps ou gérer des projets. Cela n’est pas encore structuré dans les métiers de la communication. Avec JUSTE, nous allons entrer dans le management de transformation et des situations.
Louise Beveridge : JUSTE est né de notre observation des changements structurels dans l’organisation des entreprises et les interactions avec leur écosystème. Depuis 10 ans, il y a une très grande croissance d’experts qui s’organisent autour de leur expertise (« brand of one »). Aujourd’hui, cette tendance s’accélère et devient multi-générationnelle. Ces experts sont désormais rejoints par les plus jeunes générations qui ne se reconnaissent pas dans l’entreprise unique et mettent leurs compétences au service d’une ou de plusieurs entreprises. C’est une façon de courir un moindre risque. C’est un choix de vie. Surtout, c’est le sentiment d’exercer leur métier avec un fort impact, une liberté de parole et de mouvement.
Pourquoi est-ce le bon moment, maintenant ?
Louise Beveridge : JUSTE est né confiné ; mais le conjoncturel va accélérer le structurel. Plus de talents vont exercer en indépendant et les entreprises vont adapter leur fonctionnement en mode agile et basculer dans l’économie de l’usage, le « pay per use », qui va désormais aussi toucher le marché du travail et le marché de l’expertise. Nous avons observé que le marché du management de transition ou de l’intérim traditionnels n’offrait pas vraiment de passerelle entre les indépendant.es et le monde de l’entreprise. Vers la fin de l’année, quand vont surgir les grands sujets de restructuration, de repositionnement de secteurs et les PSE, les demandes en termes de communication devront être confiées à des talents qui auront déjà rempli ce type de missions. Le besoin d’expertise forte et confirmée va être là, mais il devra être à la fois agile et adapté au besoin. Alors que certaines entreprises n’ont pas accès à cette expertise, JUSTE proposera une troisième voie, en complément du recrutement classique et du recours à une agence conseil.
Propos recueillis par Delphine Goater, consultante éditoriale, Missive et administratrice de COM-ENT.
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