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Les marques sont-elles condamnées à devenir politiques ?

TRIBUNES

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28/06/2021

Par Édouard Rencker, Président de Makheia


La crise de la Covid a été bénéfique dans au moins deux domaines : le nombre de nouvelles marques déposées en France et la démultiplication des « tribus » prêtes à les consommer. Avec une conséquence aussi importante qu'inattendue : la saturation (prochaine) des messages et des audiences. Pour faire face, les marques doivent devenir « politiques ».

L'information est presque passée inaperçue : 2020 a été, en France, l'année des records en matière de dépôts de marques : plus de 100 000, soit près de 300 par jour. Un chiffre jamais atteint depuis la création de l'INPI. Autre chiffre : désormais plus de 10 milliards de produits sont directement accessibles en ligne, depuis nos smartphones ou PC (contre moins de 1 milliard il y a 10 ans). Avec une conséquence majeure sur les modes de consommation de nos sociétés digitalisées : la « singularité » est devenue le nouveau paradigme. « Je consomme donc je suis » pourrait être le slogan des années Covid.

La consommation de masse telle qu'elle fut pensée dans les années soixante, à savoir les mêmes biens pour le plus grand nombre, est morte ! Aujourd'hui, chaque consommateur revendique son unicité et invente la consommation qui l'accompagne. « La normalité universelle est désormais une stratégie aussi inefficace qu'erronée » professait il y a quelques années Seth Godin, gourou du marketing. Nous y sommes !

Conséquence : les marques sont partout ! Institutionnelles, corporates, commerciales, ombrelles, territoriales, citoyennes, employeurs, personnelles... Et elles sont devenues autant un modèle de consommation que de revendications ! Pour preuve, pour la première fois dans l'histoire contemporaine, certaines marques ont pris directement des positions politiques lors des émeutes du Capitole, condamnant l'atteinte au processus démocratique (Bank of America, Verizon, UPS ). Partageant ainsi avec leur « fan base » une position politique. Du jamais-vu !

Nous sommes des hypertrophiés du symbole !

Trois facteurs majeurs expliquent cette hypertrophie du symbole et de la marque. Premièrement, la modification des perceptions et des désirs des consommateurs. Nous privilégions la valeur d usage, l'utilité d'un bien plutôt que sa propriété (d'où le succès des plateformes de partage, de la trottinette aux outils de jardin en passant par les voitures). La « jouissance » plutôt que la propriété. Ce qui accroît le poids des marques. 

Deuxièmement par l'hyper-extension du champ émotionnel. On ne consomme plus un produit mais une promesse, une émotion des « stories ». Et non plus, selon sa classe, mais son clan. Et les clans se démultiplient à l'infini. Le retour de ce que le sociologue Michel Maffesoli appelle la « tribu » s'accompagne d'une nouvelle organisation du sens et des signes. Chaque tribu arbore ses références, ses codes symboliques, ses signes de reconnaissance, ses codes sémiologiques. On est Hipster, Rappeur, Boomer, Végane, Spéciste, Consumériste, Empathique, Mystique, etc. Et on se regroupe par tribu autour des mêmes marques « gourou ».

Enfin, troisième transformation, la modification de l'espace : des plateformes de VOD au Smartphone, nos champs de vision sont en train de muter. Nous passons d un champ à longue focale (la rue, la mer, les champs ) à des visions courtes (la tablette, le smartphone) surpondérant les signes, les symboles. Plus l'écran est petit, plus les signes ont d'impact et plus les marques marquent ! C.Q.F.D.

Marques et entreprises sous pression

Les entreprises, elles, sont sollicitées sur tous les fronts : sociaux, sociétaux, marketing, RH. Sur tous les canaux, médias traditionnels, plateformes digitales, médias sociaux, réseaux physiques, etc. Les communicants, eux, désormais confrontés à deux phénomènes contradictoires :

  • Gérer des dispositifs complexes afin d'être visible sur tous les canaux.
  • Piloter l accélération de la volatilité des audiences. 

Comment s'en sortir ? Il faut choisir, trancher, s engager, au risque de déplaire à certains. Choisir ses « tribus », rendre cohérente et structurée une prise de parole qui peut se perdre dans l'hyper-offre de contenus. Prendre de la distance, du recul. En un mot, devenir « politique ». Dans le sens du choix et de la gouvernance. « Gouverner, c'est choisir », disait Pierre Mendès-France. 

Les débats sur les entreprises à mission sont ainsi parfaitement dans l'air du temps. Reste qu'il ne peut s'agir ni d'un gadget ni d'une simple intention. La prouesse réalisée par Danone d'avoir été la première entreprise à mission du CAC 40 n'a pas suffi à sauver son président, Emmanuel Faber. Danone avait bien muté mais la trajectoire générale demeurait, semble-t-il, peu ou pas assez lisible. L'éthique n'a rien pu faire.

Les marques, comme les politiques, doivent conquérir le droit à l idéologie. Sinon, elles ne résisteront pas à l'épreuve de la nouvelle société « tribale ». Mais le chemin va être complexe.

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